Lettre d’un Québecois au Président de la République

Lettre d'un Québecois au Président de la République française

par Maxime Laporte

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Monsieur le Président,

Au nom de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, fondée en 1834, je vous félicite pour votre élection à la tête de l’État français. Sachez que j’éprouve la plus haute estime pour la fonction que vous occupez. Avec elle, vient le privilège mais surtout l’immense responsabilité de faire rayonner sur le monde, l’ensemble de la Francophonie dont votre pays demeure certes le cœur battant.

Le Québec se révèle, lui aussi, un morceau incontournable de cette Francophonie. Seul État de langue française au nord de l’Amérique, notre histoire nous aura condamnés, pour ainsi dire, à la résistance quotidienne contre tous les assauts de la provincialisation et de l’assimilation. À force de courage, nous aurons su, jusqu’à ce jour en tout cas, maintenir en vie ce qu’il reste ici de culture française.

Mais, le combat n’est pas gagné. Rien ne garantit, hélas, que dans 25, 50, 100 ans, la vitalité et le poids démographique du français au Québec ne fléchiront pas. Clairement, la tendance lourde est à l’anglicisation. Tous les indicateurs le confirment.

Et il faudrait être naïf pour croire que "l’action qualifiée de fédérale, mais évidemment partiale du gouvernement canadien", pour reprendre les mots de votre prédécesseur le général Charles de Gaulle, y changera quoi que ce soit. Il faut rappeler qu’au fil du temps, les tribunaux du Canada ont invalidé des pans entiers de notre Charte de la langue française, adoptée démocratiquement par notre Assemblée nationale en 1977. Cela a eu pour effet d’affaiblir un grand nombre de mesures qui visaient à faire du français la seule langue commune en notre pays. Voilà une des nombreuses raisons faisant que le peuple québécois, lorsqu’il se décidera enfin à "arriver à ce qui commence", s’attend de la France à ce qu’elle le reconnaisse comme tel ; un peuple, un peuple frère.

Récemment, vous avez exprimé publiquement votre ambition de faire du français la première langue mondiale. Je salue ces déclarations. Elles témoignent d’une véritable francophilie et d’une compréhension certaine de l’intérêt stratégique que revêt le statut de notre langue à l’échelle internationale, de même que le bagage patrimonial extraordinaire qui l’accompagne.

Avec toute l’humilité qui s’impose, je suggérerais fortement à votre Administration d’incarner concrètement cette ambition. Cela, en mettant le français au cœur de la vie sociale, commerciale et diplomatique.

En particulier, il n’y a aucune raison pour que les grandes multinationales diffusent, en France, des slogans publicitaires dans une langue étrangère à celle de la République. A fortiori, l’État devrait se montrer exemplaire en n’encourageant d’aucune façon les réflexes diglossiques vers l’anglais que l’on peut lire, voir et entendre, chaque jour qui passe, dans l’espace public français. Cette médiocrité linguistique, induite par l’omniprésence de la culture anglo-américaine, nuit au français et à la France elle-même. Elle étiole la grandeur de la République, et l’idée que l’on peut se faire d’elle.

Surtout, ces mauvaises habitudes en viennent à causer des dommages collatéraux chez nous, au Québec, car elles banalisent la progression de l’anglais dans tous les domaines, et favorisent ce que j’appelle la "colonisation" des plus jeunes générations.

Sans doute, d’aucuns n’y voient qu’un effet de mode ne présentant aucun danger notable. C’est peut-être vrai dans votre pays, qui n’est assurément pas à la veille de passer à l’anglais, mais il faut savoir que pour les "Français du Canada", le parler bilingue a toujours été l’antichambre de l’anglicisation. C’est ainsi que depuis les débuts de la mal nommée Confédération canadienne, la proportion de francophones y est passée d’environ 34% dans les années 1860, à 25,7% en 1971, à moins de 20,3% en 2016…

Il ne s’agit pas de se fermer à l’anglais… Cependant, nul besoin pour aller vers l’autre, de s’aliéner à lui. Ainsi, c’est une chose que d’apprendre l’anglais. Mais c’en est une autre que d’angliciser tout un peuple.

Et vous savez comme moi que lorsqu’un peuple se folklorise pour éventuellement devenir moribond, c’est la richesse du patrimoine de l’humanité qui en souffre. S’il fallait que tous les habitants de cette Terre en viennent à parler et à penser de la même manière, cela ne serait guère une bonne nouvelle pour la suite du monde.

En vous remerciant d’avoir pris le temps de me lire, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma plus haute considération,

Maxime Laporte
président général de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal

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