Présentation de la loi du 4 août 1994 dite « loi Toubon »

Présentation générale de la loi du 4 août 1994
relative à l'emploi de la langue française
(dite "loi Toubon")

législation langue française loi Toubon

Lire le texte de la loi Toubon

I. Présentation de la loi

La loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française s’est substituée à la loi du 31 décembre 1975, dont elle élargit le champ d’application et renforce les dispositions.

Ce texte, présenté par le ministre de la Culture et de la Francophonie de l'époque Jacques Toubon, en traduisant le principe constitutionnel selon lequel la langue de la République est le français, vise à doter la France d’une véritable législation linguistique, comme c’est le cas dans bien d’autres pays. La loi de 1994 n’a pas été inspirée par le souci de préserver la pureté du français en faisant la chasse aux mots étrangers : elle porte sur la présence du français et non sur son contenu. Elle marque la volonté de maintenir le français comme élément de cohésion sociale et moyen de communication internationale, dans une France qui se veut ouverte sur l’extérieur et partie prenante de la mondialisation des échanges.

Elle a pour objet de garantir aux Français le droit d’utiliser leur langue et de la faire utiliser dans un certain nombre de circonstances de leur vie courante et professionnelle. Elle pose le principe que la langue française est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics, et "le lien privilégié des États constituant la communauté de la francophonie".

Les débats qui ont eu lieu lors du vote de la nouvelle loi ont permis de souligner que la vigilance à l’égard du français devait s’accompagner d’une ouverture sur les langues et cultures régionales et étrangères. Certains de ses articles visent d’ailleurs à généraliser l’apprentissage d’autres langues dans les systèmes éducatifs et de formation, et à développer le plurilinguisme dans l’accueil des touristes étrangers.

Son adoption a été l’occasion, pour les Français, de prendre conscience de ces enjeux. Selon un sondage de mai 1994 de la SOFRES, 65 % d’entre eux se déclaraient favorables à l’idée d’une politique volontariste de défense de la langue, 70 % se déclaraient fiers de l’existence de la francophonie, enfin 78 % affirmaient préférer le plurilinguisme en Europe au tout anglais.

L’élaboration d’une nouvelle loi a, en outre, répondu à l’attente des 52 États de la Communauté francophone, qui souhaitaient depuis longtemps que la France adopte une attitude plus volontariste vis-à- vis de sa langue.

II. Les principales dispositions de la loi

L’ information du consommateur

Sur ce point, la loi reprend les dispositions de la loi du 31 décembre 1975, en prévoyant pour la désignation, la présentation et la publicité des biens, produits ou services, l’emploi obligatoire de la langue française. Les mêmes exceptions sont prévues pour la dénomination des produits typiques et spécialités d’appellation étrangère connus du plus large public.

Une ou plusieurs traductions en langues étrangères sont toujours possibles, mais dans ce cas, la présentation en français doit être aussi lisible, audible ou intelligible que la présentation en langue étrangère. Il n’est pas exigé de parallélisme des formes.

Ces dispositions sont étendues aux inscriptions et annonces apposées ou faites sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public (cafés, restaurants, commerces, salles de spectacles) ou dans un moyen de transport en commun, alors que la loi de 1975 limitait celles-ci aux biens appartenant à des personnes morales de droit public.

Cette réglementation ne s’applique ni aux raisons sociales, ni aux marques de fabrique, de commerce ou de service. En revanche, les mentions descriptives et messages publicitaires doivent, pour être utilisés en France, être accompagnés d’une traduction en français, même s’ils sont enregistrés avec une marque.

La législation française respecte pleinement le droit communautaire. En ce domaine, celui-ci repose sur l’idée qu’il convient d’établir un équilibre entre d’une part la liberté des échanges et d’autre part la protection du consommateur et de la santé, qui impose la présence d’informations (étiquetage, mode d’emploi, etc.) dans une langue compréhensible par l’utilisateur. Cette langue est, sauf rare exception pour certains termes, la ou l’une des langues officielles de l’État de commercialisation.

Le monde du travail

Les entreprises issues de groupes internationaux ou bien ouvertes sur l’exportation doivent, pour être compétitives, élaborer des stratégies linguistiques complexes qui impliquent de plus en plus souvent la maîtrise et l’usage de plusieurs langues : langue(s) de la communication interne, usage de la langue du client ou du partenaire étranger pour la vente ou la négociation, etc. Pour que le français conserve la place qui lui revient au sein de l’entreprise, et que les salariés et leurs représentants ignorant ou maîtrisant mal une langue étrangère ne soit pas pénalisés, mais aussi dans le souci de limiter les risques de litiges et de protéger la santé et la sécurité des personnes, la nouvelle loi étend sensiblement les cas d’emploi obligatoire du français.

Outre les contrats de travail et les offres d’emploi, déjà visés par la loi du 31 décembre 1975, sont désormais concernés le règlement intérieur, les conventions, accords collectifs de travail, conventions d’entreprise ou d’établissement, les documents comportant des obligations pour le salarié (par exemple, en matière d’hygiène et de sécurité, ou en matière disciplinaire) et, à titre général, tout document comportant des dispositions nécessaires au salarié pour l’exécution de son travail. Les exceptions visent les contrats des salariés étrangers non francophones, les documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers, certaines offres d’emploi. Ici encore, dans tous les cas, les documents peuvent être accompagnés de traductions en une ou plusieurs langues étrangères.

L’enseignement

C’est une des innovations de la loi du 1994, qui affirme le caractère obligatoire de l’enseignement en français et de son emploi pour les examens, concours, thèses et mémoires, dans les établissements publics et privés. Bien entendu, des dérogations sont prévues pour l’enseignement des langues et cultures régionales ou étrangères ainsi que pour certaines écoles spécialisées.

Ce texte modifie, en outre, la loi du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation pour souligner que la maîtrise de la langue française et la connaissance de deux autres langues font partie des objectifs fondamentaux de l’enseignement.

En effet, l’affirmation du rôle privilégié de la langue française va de pair avec l’ouverture aux autres langues et cultures, et traduit le souhait de construire un monde pluraliste respectueux des diversités. La maîtrise du français et de deux autres langues étrangères contribue, également, dans un contexte marqué par l’internationalisation des échanges, à armer les jeunes pour s’insérer dans le marché du travail et à favoriser la mobilité professionnelle.

Au niveau européen, notamment lors de la Présidence française au premier semestre 1995, des textes en faveur du pluralisme linguistique en Europe ont été adoptés. Une résolution du conseil de l’éducation du 31 mars 1995 souligne ainsi le besoin de « prendre des mesures incitatives en vue de diversifier les langues enseignées dans les États membres, en donnant aux élèves et aux étudiants des possibilités pour acquérir, au cours de leur scolarité ou de leurs études supérieures, une compétence dans plusieurs langues de l’Union européenne ». Plusieurs programmes européens favorisant la mobilité et les échanges de personnes prennent en compte l’apprentissage des langues étrangères (SOCRATES par exemple).

En France, l’amélioration de la maîtrise de la langue française passe par la révision des programmes scolaires et universitaires, avec des mesures d’accompagnement (ateliers d’écriture, interdisciplinarité, nouveaux instruments pédagogiques sous la forme de cédéroms, etc.), ainsi que par les dispositifs de formation continue et d’aide à l’insertion et à l’intégration. D’autre part, l’initiation à une langue vivante devient progressivement systématique dans l’enseignement primaire, et la généralisation de l’enseignement obligatoire d’une seconde langue étrangère s’opère dans l’enseignement secondaire.

L’audiovisuel

Le rôle des médias, en particulier de la télévision, est essentiel pour la diffusion de la langue française, puisqu’ils complètent ou concurrencent souvent les structures éducatives, notamment auprès des jeunes et des personnes les plus défavorisées. C’est pourquoi la loi prévoit l’emploi obligatoire du français ou de traductions en français dans tous les messages publicitaires et émissions des services de radio et de télévision, à l’exception des œuvres cinématographiques et audiovisuelles en version originale, des programmes conçus pour être diffusés en langue étrangère, de ceux dont la finalité est l’apprentissage d’une langue, et des retransmissions de cérémonies cultuelles.

En outre, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est modifiée afin de renforcer les obligations incombant aux chaînes de radio et de télévision en matière de langue française et de francophonie.

Le contrôle de l’application de ces dispositions comme de celles de l’ensemble des textes qui régissent l’audiovisuel est confié au Conseil supérieur de l’audiovisuel. Le Bureau de vérification de la publicité a une importante activité de conseil auprès des annonceurs en ce domaine.

Les manifestations, colloques et congrès

L’une des dispositions de la nouvelle loi qui a suscité le plus de débats est l’article imposant l’usage du français dans les manifestations, colloques et congrès tenus en France.

En effet, La France est l’un des pays organisant le plus grand nombre de manifestations internationales, culturelles, scientifiques ou techniques, mais de plus en plus fréquemment, celles-ci se déroulent uniquement en anglais alors même que certains des participants et intervenants sont francophones.

Les mesures finalement adoptées sont le résultat d’un compromis entre ceux qui craignaient que des règles trop strictes n’entraînent la diminution du nombre de congrès tenus en France et ceux qui estimaient abusive l’interdiction de l’emploi du français dans une réunion se déroulant en France.

Les obligations fixées aux personnes de nationalité française organisant une manifestation en France sont désormais de trois sortes : tout participant francophone doit pouvoir s’exprimer en français ; les documents de présentation du programme doivent exister en version française ; les documents distribués aux participants ou publiés après la réunion doivent comporter au moins un résumé en français.

Les obligations particulières des services publics

Si les structures éducatives et les médias ont un rôle important à jouer dans la diffusion de la langue française, il en est de même pour les personnes morales exerçant une mission de services public. Celles-ci ont un devoir d’exemplarité, et la loi leur impose des contraintes particulières.

C’est ainsi que les services publics, lorsqu’ils procèdent à la traduction dans une langue étrangère d’une inscription ou d’une annonce destinées au public, doivent le faire en au moins deux langues, afin de développer le plurilinguisme, notamment pour l’accueil des touristes étrangers.

Les contrats passés par ces personnes morales doivent être rédigés en français. Une exception est cependant prévue pour les organismes gérant des activités à caractère industriel et commercial quand il s’agit de contrats exécutés intégralement hors de France. À l’occasion de la loi de modernisation des activités financières du 2 juillet 1996, dans un souci de sécurité juridique, il a été précisé que cette exception concernait également la Banque de France et la Caisse des dépôts et consignations, ainsi que certains contrats financiers dont l’exécution est soumise à une juridiction étrangère.

Les services publics, lorsqu’ils sont à l’initiative d’une manifestation, d’un colloque ou d’un congrès international se déroulant en France, doivent prévoir un dispositif de traduction. L’emploi d’une marque constituée d’une expression étrangère possédant un équivalent français leur est interdit, et les publications en langue étrangères qu’elles diffusent en France doivent être accompagnées d’au moins un résumé en français.

Par ailleurs, des circulaires du Premier ministre et de chacun des ministres rappellent à tous les agents publics les responsabilités particulières qui leur incombent à l’égard de la langue française, au delà de la loi, tant dans leurs activités en France que dans leurs relations avec l’étranger: clarté des documents d’information destinés aux usagers, contribution au respect de la diversité linguistique dans la communication avec les touristes étrangers et sur l’Internet, vigilance sur le statut du français langue officielle et de travail dans les organisations internationales, etc.

L’application de la loi

Elle a fait l’objet d’un décret et d’une circulaire d’application, datés respectivement du 3 mars 1995 et du 19 mars 1996. La loi, comme prévu, est entrée en vigueur pour l’ensemble de ses dispositions le 7 septembre 1995. Ce délai a permis de donner aux agents économiques et aux services publics le temps de prendre les mesures nécessaires pour se mettre en conformité avec les nouvelles réglementations. Par ailleurs, un décret du 1er juillet 1998 a permis de compléter le dispositif réglementaire d’application de la loi dans le domaine des transports internationaux.

L’une des originalités de la nouvelle loi est de prévoir pour la plupart de ses articles un dispositif de contrôle et de sanctions adapté, qui devrait permettre une bonne application de la législation. En effet, les difficultés d’application de la loi du 31 décembre 1975 tenaient au fait que celle-ci ne prévoyait pas de sanctions pénales spécifiques, les infractions étant constatées seulement à l’occasion d’autres infractions au code de la consommation, et relevant du régime de sanction de la répression des fraudes. Les peines encourues sont désormais des peines contraventionnelles de la quatrième classe. Certaines relèvent du droit de la consommation, d’autres du droit du travail, ou du pouvoir de contrôle et de sanction du Conseil supérieur de l’audiovisuel. En outre, un lien est établi entre le bénéfice d’une subvention accordée par une collectivité publique et l’usage de la langue française dans les divers cas prévus par la loi (colloques, annonces ou inscriptions, publications de travaux d’enseignement ou de recherche, etc.).

Enfin la loi a également prévu l’agrément d’associations de défense de la langue française, en vue de leur permettre d’exercer les droits de la partie civile devant les tribunaux dans les litiges relatifs à plusieurs articles de la loi. Cette innovation est calquée sur ce qui existe déjà en matière d’associations de consommateurs. Un arrêté du 27 mai 1998 a permis d’agréer pour trois ans trois associations qui participent activement à l’application des textes.

Un rapport sur l’application de la loi doit être remis par le Gouvernement au Parlement le 15 septembre de chaque année. Il fait le point sur l’ensemble des mesures en faveur du français qui accompagnent et complètent le dispositif législatif: soutien aux revues scientifiques, aide à la traduction simultanée dans les colloques internationaux, actions de sensibilisation, dispositif d’enrichissement terminologique, promotion du plurilinguisme dans la société de l’information, etc. Il est disponible sur le serveur de l’Internet de la Délégation générale à la langue française (DGLF), ainsi que les textes juridiques (la loi, le décret et la circulaire d’application sont également disponibles en anglais et allemand). La DGLF, service du ministère de la Culture et de la communication chargé de la coordination interministérielle pour la langue française, est à la disposition des professionnels et du public pour toute information complémentaire.