Réponse à Grégory Bernard, producteur de « Rubber » et « Wrong »

Réponse à Grégory Bernard, producteur de "Rubber" et "Wrong"

de Courriel à un cinéaste anglomane

Grégory Bernard cinéma colonisation servilité

Dans votre curieux appel "Aidons le cinéma français tourné en anglais" [Le Monde-3/9/2012], vous réclamez, en fait, d’obtenir les moyens permettant au cinéma français de se couler dans le moule étasunien de la production cinématographique globale. Le premier élément placé sur votre ligne de tir étant bien sûr l’élément principal de la personnalité d’un film, à savoir sa langue d’origine. Ainsi, le cinéma français pourrait donc se développer, s’épanouir.

Les réalisateurs du monde entier, n’étant pas moins sagaces que vous, feront de même et tout le monde se ressemblera, on aura des produits similaires marqués au sceau de l’anglais, dépersonnalisés, uniformisés, rendus insipides et sans couleurs, peu importe pourvu qu’ils soient de nature à ne pas heurter la susceptibilité des producteurs aux États-Unis. En somme, s’adapter au "marché" de la mondialisation, être sûr de se vendre, quitte à y laisser son âme. Quitte aussi à ce que les populations n’étant pas encore complètement acquises à la pratique de cette langue, nous irons tous voir notre cinéma national en anglais sous-titré dans notre langue vernaculaire. Belle perspective !
Vous écrivez péremptoirement que "les œuvres françaises en anglais participent au rayonnement de la France". Peut-être, mais les œuvres françaises en langue française devraient le faire tout aussi bien et de façon nettement moins discutable, me semble-t-il ! Comment imaginer que des œuvres (et non pas des "produits") amputées d’une partie de leur substance puissent convaincre un public étranger davantage que dans leur version nationale ?

En réalité, tout est affaire d’objectif : si le but est de fabriquer des "produits" suffisamment affadis pour s’adapter au marché global afin de convaincre les investisseurs internationaux, il faut effectivement les dépouiller de ce qui fait leur originalité.

Quant à la Nouvelle Vague, de grâce, laissez-la où elle est ! Selon vous, grâce à "l’importation de la culture américaine dans le cinéma français, (ces cinéastes auraient) fait plus pour la culture française que les centaines de films français de l’époque que l’on ne regarde plus" ! Affirmation gratuite et inexacte, il suffit de faire un tour dans les grandes surfaces de l’audio-visuel pour voir le nombre de clients recherchant justement des films français de ces années-là. Croyez-vous vraiment que l’importation de la culture américaine dans le cinéma français, soit le titre de gloire le plus remarquable de la Nouvelle Vague ? En vérité, si ces cinéastes ont marqué à ce point la culture française et rayonné à l’international avec leurs films en français, c’est indiscutablement et uniquement par leur talent.

De quoi seront faits les lendemains du cinéma français de création ? Je les vois bien compromis si l’ambition des réalisateurs français se limite à fabriquer des produits bâtards susceptibles d’être salués lors d’éventuelles cérémonies de Césars du meilleur film français en langue étrangère, donc en anglais.

Il est à noter cependant, que les dernières nouvelles concernant le film français tourné en langue non anglaise semblent vous contredire. Après avoir réuni 19 millions de Français dans les salles, Intouchables de Olivier Nakache et Éric Toledano est devenu le 6 septembre dernier le film français tourné en langue non anglaise le plus vu dans le monde, détrônant ainsi Le fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet. D’après la presse, ce n’est pas fini car le film n’est pas encore sorti en Angleterre, en Australie, en Nouvelle-Zélande et vient tout juste d’être mis à l’affiche en Argentine, au Brésil et au Japon. D’après Unifrance, qui s’occupe de la promotion du film à l’étranger, il pourrait aisément atteindre les 25 millions au terme de son exploitation. Avec 43 millions d’entrées à l’international (France et étranger), Intouchables devient aussi le deuxième plus grand succès mondial d’un film français.

Convenez donc que le cinéma français tourné en français a encore de beaux jours devant lui et que votre appel risque, dans ces conditions, de ne pas recueillir toute l’attention que vous souhaitez.
Au demeurant et au-delà du monde du cinéma, la question n’est-elle pas, en définitive, de ne pas se plier à l’effacement progressif de notre langue qui reste, que vous le vouliez ou non, la base du rayonnement de notre culture au plan international. J’en suis personnellement persuadée et j’agis dans toute la mesure de mes moyens pour qu’il n’en soit pas ainsi en militant au sein de "COURRIEL", association de défense du français contre le tout-anglais hégémonique. N’est-ce pas la manière la plus efficace et la moins mercantile d’œuvrer au rayonnement de notre culture ?
Simone Bosveuil
Courriel

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