Les tribunaux français protègent-ils encore la langue française ?

Les tribunaux français protègent-ils encore la langue française ?

Justice langue française Toubon

En France, la langue officielle et nationale, âme et ciment de la Nation, est protégée par des institutions publiques et d’importants textes : par la Constitution depuis 1992, en son article 2 : "La langue de la République est le français" ; la loi du 4 août 1994, dite "loi Toubon" ; et divers textes réglementaires, notamment dans le domaine du droit de la consommation. En outre, la Francophonie-Communauté fait l’objet d’une disposition constitutionnelle adoptée en 2008 : titre XIV, article 87.

Avenir de la langue française (ALF) et 31 autres associations qui travaillent en synergie avec elle, ont pour raison sociale principale ou secondaire la promotion du français et de la Francophonie.

Quatre d’entre elles sont même très officiellement agréées par les ministères de la Culture e de la Justice pour veiller à l’application de la législation protectrice en vigueur. Trois sont subventionnées à cet effet par la rue de Valois.

Ces associations s’activent beaucoup, en concertation entre elles pour accomplir leur mission. Elles analysent, relèvent, dénoncent, des dérives de plus en plus nombreuses et graves, venant aussi des pouvoirs publics eux-mêmes. Elles sont amenées, après épuisement des démarches amiables et recours gracieux, à recourir aux tribunaux.

Elles ne le font, du reste, qu’après s’être convaincues, sur la foi de bons juristes consultés, qu’elles ont la quasi assurance d’avoir gain de cause, par simple application de la loi. Elles l’ont fait à diverses reprises ces dernières années.

La longue liste ci-annexée des recours déposés devant les juridictions compétentes, judiciaires et surtout administratives, est édifiante : tous perdus, sauf un.

Si les décisions rendues s'appuient sur des motivations de rejet différentes, il reste que l'ensemble révèle une grande cohérence et peut faire naître quelques doutes sur la possibilité d’obtenir de tribunaux français le plein respect de la protection constitutionnelle et législative de la langue française, d'autant que cette difficulté affecte aussi d'autres domaines. En effet, la "gouvernance" se substituant de plus en plus au gouvernement par l'État de droit, les tribunaux subissent la forte pression diffuse de l'ordre politique au nom d'une idéologie à prétention universaliste, en réalité mondialiste et multi-culturaliste, qui vise à abolir les frontières et à détruire les nations, surtout en Europe méditerranéenne, la notion même de citoyenneté s’y trouvant ainsi menacée.

Beaucoup de magistrats français semblent d’ailleurs partager cette idéologie et agir d’eux-mêmes pour la servir, sans que quelque autorité publique leur impose quoi que ce soit, ce qui pourrait expliquer les nombreux rejets de nos recours contre des violations évidentes de la Constitution (art. 2) et des lois et règlements de protection du français.

Les effets de cette idéologie sont d’autant plus graves que ses tenants servent ainsi l’impérialisme états-unien en choisissant de favoriser l’avènement d’une langue mondiale unique, l’anglais, le globish pour tous, et en brisant toute velléité de résistance à cette dictature qui, comme le dénonce Claude Hagège, impose une pensée unique au moyen d'une langue unique, au service d’intérêts qui ne sont pas les nôtres, la langue française étant l’âme et un des principaux ciments de la Nation et de l’ensemble de la Francophonie.

Plongés dans un véritable cauchemar, les Français attachés à leurs institutions voient l’allégorie «Justice», yeux toujours bandés, dépossédée de sa balance et de son glaive : elle ne peut voir, ni protéger, une Marianne ligotée, couchée, nue, République offerte.

Qui pourrait délier Marianne, la relever, lui rendre sa – la - Justice ? Ou, pourquoi pas, la remplacer ?

Albert Salon, docteur d’État ès lettres, ancien ambassadeur, président d’Avenir de la Langue Française.

Voici les résultats des recours déposés par nos associations en synergie

2006 : le Conseil d’État, saisi par ALF, valide la pratique de l’Agence nationale de la Recherche exigeant des chercheurs français qu’ils présentent leurs dossiers de subvention en anglais, sous prétexte de «jury international». ALF a perdu.

2008 : le Conseil constitutionnel valide la ratification du Protocole de Londres signé en 2001 par le gouvernement français sur les brevets européens, alors que la traduction en français s’en trouve fortement diminuée et que l’anglais acquiert ainsi, de fait, une part de statut de langue officielle en France. Avec nos amis parlementaires, nous avons été déboutés.

2015 : le tribunal administratif (T.A) de Nîmes, saisi par l’AFRAV (Manduel) soutenue par ALF et d’autres associations, pour absence de traduction d’affiches et de la signalétique municipales, nous a donné gain de cause. Seule victoire !

2015 : le Conseil d’État, saisi par ALF et 13 autres associations «tiers intervenants» contre le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) pour carence évidente dans l’exécution de ses obligations légales d’habilitation des formations en application de la loi Fioraso et dans son contrôle des universités contrevenantes, a chargé le T.A. de Paris de traiter l’affaire. Nous, gêneurs, avons été alors déboutés.

2016 : le Conseil d’État, saisi par l’Observatoire européen du Plurilinguisme (OEP), appuyée par ALF contre l’ENA pour imposition de l’anglais seule langue étrangère obligatoire au concours d’entrée, a validé. L’OEP et ALF ont perdu.

2016 : le T. A. de Paris, saisi par DLF-Savoie, avec l’appui de DLF centrale et d’ALF contre la Société France-Télévisions, pour grave abus d’anglicismes incontrôlés, y compris dans les titres de programmes nouveaux, a rejeté la requête comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. Les associations, ainsi déboutées, se tournent vers la juridiction judiciaire (TGI).

2016 : Les T.A. d’Aix-Marseille, Nantes, Paris, Toulouse, saisis par ALF et 13 de nos associations «tiers intervenants», contre les universités de ces villes ayant offert des formations diplômantes exclusivement en anglais, en contravention flagrante avec la loi Fioraso du 22 juillet 2013 qui les exclut, nous ont tous déboutés, certains TA pour des raisons de pure forme pourtant expressément validées par les autres qui ont avancé des raisons de fond, d’ailleurs divergentes.

2016 : Le T.A. de Pais, saisi par l’AFRAV, avec l’aide bénévole d’un avocat professionnel connu, en exercice, et le soutien de presque toutes nos associations qui, autour d’ALF, avaient auparavant lancé la campagne médiatique réussie contre la mairie de la Capitale et le Comité d’organisation de la candidature de Paris, pour avoir, dans le silence complice du gouvernement d’alors, choisi un slogan en anglais – au demeurant d’une insigne pauvreté : «Made for sharing» recopié d’une présentation de produits commerciaux ordinaires par un organe publicitaire censé faire preuve d’imagination (nous avions, du reste proposé plusieurs slogans en français très à la portée des non-francophones) – et l’avoir, malgré le tollé soulevé, projeté le 3 février en grande pompe sur la Tour Eiffel, proclamant ainsi urbi et orbi le mépris de notre langue, officielle de la France, de Paris centre mondial de la Francophonie, et des Jeux Olympiques. L’AFRAV et nous fûmes déboutés.

2016-17 : Le T.A. de Lille saisi dans les mêmes conditions «post-Fioraso» par ALF et les 13 contre l’université de la ville, fait encore attendre son jugement.

2016-17 : Le T. A. de Paris saisi par ALF et les 13, contre l’École Normale Supérieure et son consortium monté avec Polytechnique, Orsay…pour créer des formations de très haut niveau en anglais seulement, a, dans ce cas très emblématique, validé les questions de forme dans notre recours. Mais le «caractère international» des formations – et même de l’établissement…- a été mis en avant, alors même que ni les enseignements, ni surtout les diplômes les sanctionnant (uniquement français), ni les établissements en cause ne sont «internationaux». Le 14 juin 2016, entendus à l’audience, nous avions pu avoir le sentiment d’avoir en face de nous un trio de juges plutôt sensibles à nos arguments. Nous avons su très tôt que le trio était en fait très divisé. Déboutés, nous fîmes appel. La Cour administrative d’appel de Paris a confirmé au printemps 2017 le «caractère international», donc le rejet de notre recours. Rejet le plus douloureux de tous, parce qu’étaient en cause des fleurons très prestigieux de nos établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Et parce que nous fûmes, de surcroît, condamnés à verser 1.500 euros à l’ENS. Peut-être fallait-il nous faire taire à tout prix ?

2017 : Le T.A. de Metz, saisi par l’AFRAV soutenue par plusieurs de nos associations, contre l’établissement public de l’»Aéroport de Lorraine» (Metz-Nancy), pour avoir changé son appellation, pourtant très compréhensible par tous voyageurs non-francophones, en «Lorraine Airport», n’y vit pas de violation de la loi Toubon. L’AFRAV et nous fûmes déboutés.

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