ALF contre le projet de loi Fioraso !

ALF contre le projet de loi Fioraso !

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Depuis janvier, notre ALF a puissamment contribué à lancer et à nourrir la campagne contre l’abrogation de fait de notre loi Toubon, par l’article 2 du projet de loi de Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Vous avez pu suivre cette campagne vigoureuse sur notre site, dans nos bulletins, et surtout dans la grande presse pour une fois consciente de l’énormité de l’enjeu.

Aujourd’hui, j’ai considéré que l’éditorial devait être consacré à cette même affaire.

Le 7 mai, en vue du débat parlementaire ouvert le 22 mai sur le projet de loi, nous avons adressé aux parlementaires, avec le Mémoire que nous avons élaboré et signé avec l’aide de 6 autres associations, la lettre ci-dessous, pour les placer devant leurs lourdes responsabilités.

Nous savons que même une loi votée et non censurée par le Conseil constitutionnel peut toujours être contestée, et qu’une contestation légitime, forte mais pacifique, peut changer sensiblement la manière dont elle est ou non appliquée.

A vous, dans tous vos réseaux, de faire en sorte que soit sauvé de notre langue ce qui peut encore l’être, et de demander, de proposer, et de préparer une législation ultérieure différente.

Albert Salon


Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs

L’Assemblée nationale s’est prononcée en première lecture sur le projet de loi présenté par Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR).

Notamment sur l'article 2 dudit projet de loi qui tendait, dans sa version d’origine, à vider en fait de sa substance, dans nos universités et grandes écoles d'abord, la législation française de protection de la langue de la République : Ordonnance Villers-Cotterêts (non abrogée !) et loi 665 du 4 août 1994, dite "loi Toubon". En violation au moins de l’esprit d'un autre article 2, celui de la Constitution qui dispose : "La langue de la République est le français".

Saisis d’abord par nos associations de promotion du français, vous avez été ensuite touchés par les réactions d’indignation et de rejet que cet article du projet a suscitées en France et hors de nos frontières, en dehors des milieux français relativement restreints qui s’imaginent tirer profit de l’enseignement en anglais - ou globish - et ont de leur côté mobilisé leurs partisans.

Si cet article était adopté en son premier état après le vote du Sénat, et n’était pas censuré par le Conseil constitutionnel, le principe en vigueur serait aboli, selon lequel en France les services publics de formation doivent enseigner en français.

Il s'agirait là, maintenant, d'un changement de langue voulu, discret mais radical, d’un tournant majeur dans notre histoire.

Nos associations de promotion du français et de la Francophonie ont réagi toutes ensemble. Sept d'entre elles, lors d'un entretien du 16 octobre 2012 au MESR, avaient déjà été édifiées par le peu de cas fait devant elles de la loi Toubon. Elles avaient alors été aimablement invitées à présenter - comme devant un tribunal ? - une sorte de "mémoire en défense". Elles ont alors élaboré et signé le Mémoire "Sciences et langue française" ci-joint, très solidement argumenté, parvenu au ministère donneur d'ordre juste avant la découverte, fin janvier 2013, de ce qui était alors l'avant-projet de loi Fioraso. Or, son article 2 venait couronner les efforts de tous ceux qui, depuis le début du quinquennat précédent, s'efforçaient d'écarter l'obstacle de la loi Toubon pour pouvoir enfin enseigner "en langues étrangères" - façon anodine de désigner l’anglo-américain - et renforcer ainsi l' "attractivité" (sic) du territoire".

Depuis lors, l'Académie française, l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, l'Académie des Sciences d'Outre-mer, ont, dans leur langage mesuré, mis en garde contre les graves conséquences de cette disposition, et demandé son retrait. Des mouvements politiques hors des partis dits "de gouvernement" ont publié des communiqués de presse et lancé des pétitions qui ont, malgré l'aridité du sujet, recueilli bien plus de 10.000 signatures. De nombreux organes audio-visuels et de la presse écrite, hebdomadaires tels le Canard enchaîné, Marianne, l’Express, Le Point, Valeurs Actuelles, et les plus grands quotidiens (Le Figaro le 18 avril, Le Monde le 26 avril, La Croix) ont assez honnêtement ouvert leurs colonnes aux réactions hostiles au projet, ainsi que des radios et chaînes de télévision, telles RMC, LCI, France2….

M. Pouria Amirshahi, député socialiste des Français de l'étranger, président de Commission, a exprimé courageusement son opposition, et réuni 40 députés de sa mouvance, comme l’ont fait, plus à droite, MM. Daniel Fasquelle et Jacques Myard. Vous avez lu les avis tranchés de très hautes personnalités, de MM. Chevènement, Bernard Pivot et Michel Serres jusqu’à M. Jacques Attali : "difficile d'imaginer une idée plus stupide, plus contre-productive, plus dangereuse et plus contraire à l'intérêt national", et aux Professeurs au Collège de France MM. Antoine Compagnon et Claude Hagège ("acharnement"..."suicidaire"...).

Hors de nos frontières, nos compatriotes conscients, partout où ils œuvrent, de la voix de la France et de nos atouts à préserver, mais aussi nos amis étrangers, profondément étonnés, se sont émus et mobilisés au secours de notre langue. Au nom de toute l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), son Secrétaire général M. Abdou Diouf, ancien Président de la République du Sénégal, a envoyé dès mars une lettre remarquable au Premier Ministre de la France. Des chefs d'Etat et de gouvernement de pays francophones, en Afrique, au Québec, ailleurs, s'en émeuvent directement auprès de nos plus hautes autorités.

En fait, tout le monde sent bien - Mme Fioraso l'a reconnu dans sa défense peu convaincante - qu'il ne s'agit même plus de concourir pour l'accueil de quelques étrangers supplémentaires (la France, avec plus de 200.000 étudiants non français, est déjà parmi les tout premiers pays d'accueil, en français !), mais de passer à l'anglo-américain - au "globish-pour-tous" - comme langue de l'enseignement supérieur, aussi pour les francophones tant étrangers que français, en attendant d'étendre nécessairement ce méfait au secondaire, au primaire, à la maternelle...

Elle a même invoqué le principe d’égalité, qui consisterait, en l’occurrence, à donner à tous les étudiants le "bénéfice" de l’enseignement en anglais déjà illégalement offert à des élèves de certaines grandes écoles. L’égalité par la généralisation de l’illégalité…

Il s'agissait bien du "changement maintenant", de langue, et de signal déplorable donné à la Francophonie mondiale, abandonnée avec une étonnante légèreté.

Il s'agit en fait de soumission du pays à l'oligarchie mondialisée. Soumission non plus spontanée, lente, au cours de siècles, aux Romains du moment, mais reddition brutalement décidée, hic et nunc, par des clans minoritaires de mauvais bergers. Le Président fédéral M. Joachim Gauck ne le recommandait-il pas lui aussi le 22 février à son peuple allemand et aux peuples européens, dans un "Discours à la Nation allemande" devenu fort différent des "Reden an die deutsche Nation" de Fichte en 1807 ?

Globish, quand tu nous prends !...

Une France fidèle à elle-même, et aux amis qui, un peu partout, croient encore en elle, ne peut que refuser cet alignement général, cette dhimmitude, cet esclavage, ce suicide.

Aujourd'hui, nous en sommes à invoquer Alphonse Daudet et La dernière classe : tenir bon sur la langue, c'est tenir bon sur tout le reste. La résistance pour le français devient le point d'application principal de toute résistance française : à la fois à l'empire anglo-saxon-germain, à l'islamisme radical, à la destruction de la France et de sa civilisation de l'humanisme, de la qualité et de la recherche de l'excellence. De résistance à l'avachissement, au malaxage de consommateurs homogénéisés, de tous sexes, à qui l'on fait la promesse - d'ailleurs évidemment fallacieuse - du "vert bonheur de la vache dans la prairie" selon Nietzsche.

Le texte d’origine a, certes été amendé par l’Assemblée nationale :

Ainsi les enseignements en anglais ne seraient dispensés que dans les disciplines et les cas où il serait strictement nécessaire ; et il devrait être accompagné, pour les étudiants concernés, par un apprentissage du français sanctionné dans les diplômes brigués….

Il y aurait donc une langue pour les disciplines et les niveaux d’enseignement nobles et sérieux : l’anglo-américain ; et le français pour les autres, de seconde classe.

Il nous paraît pourtant que le français a été très longtemps – et reste pleinement - une langue dans laquelle on peut tout enseigner.

Il nous paraît que cette disposition législative particulière serait contraire à l’autre article 2, celui de la Constitution, et à d’autres dispositions de celle-ci ; et que dans son esprit au moins, l’ensemble de l’article 2 du projet de Mme Fioraso est contraire, non seulement à l’intérêt fondamental de la France, mais encore à l’esprit de sa Constitution.

En cette fin de mai 2013, comme dans les "heures sombres" de juin-juillet 1940, les élites françaises, au premier chef tous les représentants élus de la Nation, sont placés devant leurs écrasantes responsabilités.

Ils ont avec eux, s’ils résistent, le sentiment profond du peuple, qu'il ne faut plus tromper.

Courage ! Haut les cœurs ! Il est encore temps d’écarter ce funeste article de loi !

Albert Salon, docteur d'Etat ès lettres, ancien ambassadeur, commandeur du Mérite national, président et administrateur d'associations de promotion du français et de la Francophonie.

Les pièces jointes vous aident à compléter votre information :

- le Mémoire sur Les sciences et le français remis en janvier 2013 par sept associations au ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, ainsi qu'à l'Elysée et aux ministres de la Culture et de la Francophonie ;

- la réponse de MM. Jacques Maillard et Christian Darlot, chercheurs au CNRS, à la position exprimée par des savants "pro-langue anglaise" dans Le Monde du 8 mai ;

- le dossier récapitulatif publié le 12 mai 2013 par le journal La Croix, avec, notamment, la position de M. Bernard Pivot.

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