Pour une Europe de la culture et des cultures
Gendebien Belgique francophonie langue française
Paul-Henry Gendebien (cf. la recension de son livre "Mon séjour dans la fosse aux lions de la politique belge") a publié cet article fondateur en 1979 dans le journal belge Le Soir. Le Haut Conseil international de la Langue française et de la Francophonie, et ses associations membres s’en inspirent aujourd’hui dans leurs propositions et actions de solidarité entre pays et communautés francophones. A.S.
La culture commune des Européens, c'est le culte de la différence. Ainsi que l'écrit Denis de Rougemont, " l'unité de notre culture n'a jamais été autre chose qu'une unité paradoxale consistant dans la seule volonté commune à tous de refuser l'uniformité".
Historiquement, nous avons hérité d'une mosaïque d'apports gréco-latins, judéo-chrétiens, celtes, arabes, germains, slaves, chacun instituant dans la société européenne son système de valeurs, sa vision du monde, ses modes d'expression… Ces superpositions ne se sont pas faites sans contestations, dialogues, mutations. Il en résulte que, depuis des siècles, la civilisation européenne ne s'est pas bâtie sur une vérité permanente, proclamée magistralement et uniformément. Au contraire, à partir des tensions et de la dialectique " oppositions-enrichissements ", cette civilisation a créé l'idée du changement et du progrès humain. La découverte aventureuse, l'invention, l'innovation, la caractérisent, en regard de certaines civilisations non occidentales fondées sur la stabilité, la tradition, le conformisme.
L'Europe, c'est donc la recherche passionnée de l'original, de ce qui est nouveau en art et de ce qui est vrai en science. Mais le vrai demande à être vérifié, et le beau n'est pas vu d'un même œil d'une génération à l'autre. Aussi la science et l'art – mais aussi les religions et les morales, les philosophies et les doctrines politiques, sociales et économiques – ont-ils fait l'objet d'une explosion de recherches et de créations.
L'Europe, ce sont encore des dizaines de langues et de dialectes ; de façons de vivre, de structurer les communautés locales ; de fêter les événements de l'année ; d'exploiter les ressources naturelles et de cultiver la terre ; de résoudre les problèmes éthiques ou sociaux. Un double phénomène s'est manifesté. Les influences réciproques, les échanges, les interférences, furent et restent innombrables, d'une culture à l'autre, d'une région à l'autre, d'une époque à l'autre. Mais les spécificités ont le plus souvent subsisté, et ces diversités traversent les États-Nations eux-mêmes et leurs frontières arbitraires, résistant dans la plupart des cas aux centralisations niveleuses.
L'Europe de la culture, c'est donc une Europe des cultures. Toutes sont dignes d'intérêt. La nôtre, la culture française-wallonne (ou wallonne-française), nous est particulièrement chère. Comme les autres elle est menacée. Elle est fragile. Comme la culture en général. Comme les cultures, toutes en particulier. Elle est sujette aux agressions consécutives à l'abaissement politique de l'Europe et à l'hégémonie croissante de l'argent et de la déesse rentabilité. La sinistre uniformisation des modes de vie et des mœurs, la " standardisation " universelle et apatride, le snobisme de l'américanisation dégradent les langages, les arts de vivre, et par là les rapports humains et sociaux. Si telle est bien notre analyse, on ne s'étonnera pas que les futurs élus européens du FDF-RW s'emploient à promouvoir une politique européenne de la culture dont l'objectif premier serait de sauvegarder les diversités du patrimoine européen. En priorité, le FDF-RW proclame sa volonté de défendre et de promouvoir la langue et la culture françaises en Europe. Nous réaffirmons la volonté de la Communauté Bruxelles-Wallonie d'agir, en tant que communauté européenne appartenant à la culture et à la civilisation françaises. Si l'appartenance française de Bruxelles ne fait plus aujourd'hui de doute, en ce qui regarde la Wallonie, c'est depuis sept cents ans qu'elle a adopté tout naturellement cette langue de haute culture qu'est le français." Depuis le XIIIe siècle, écrit le professeur Félix Rousseau, sur le plan culturel, il n'existe aucune frontière entre la Wallonie et la France… Possédant le français comme langue de culture, les Wallons ont profité de sa fortune prodigieuse, de son prestige incomparable, de son rayonnement immense dans le monde. Voilà le fait capital de l'histoire des Wallons sur le plan culturel. "
L'Europe ne peut être seulement une union douanière ou une association politico-administrative. Elle doit protéger et promouvoir ses langues et ses cultures. Elle trouvera un ciment populaire dans une politique culturelle qui lui fait aujourd'hui défaut.
Le FDF-Rassemblement Wallon dit non à un super-État européen unitaire et jacobin. Voilà pourquoi, en vertu de l'idée fédéraliste qui reconnaît, organise et associe les diversités, nous suggérons qu'à partir du futur Parlement européen soient reconnues et organisées les communautés culturelles d'Europe. Il faut que puisse se développer une politique de coopération entre régions et nations appartenant à une même culture, à une même langue. Il faut que puissent se conclure des accords entre régions de culture différente. Et pourquoi ne pas imaginer que le Parlement européen crée en son sein des sections culturelles, des groupes communautaires auxquels adhéreraient les élus, en fonction de leurs appartenances linguistico-culturelles, sans tenir compte des allégeances partisanes ou étatiques ? Ces sections pourraient susciter des agences culturelles dotées de véritables moyens d'action politiques et budgétaires. Elles pourraient s'intéresser à :
- la défense de la langue et sa diffusion ;
- l'organisation de son enseignement dans d'autres régions ou hors d'Europe ;
- la coopération en matière de radio, de télévision et de presse écrite ;
- l'établissement d'un marché commun de l'édition, de la production
cinématographique, etc. ; - la coopération en matière d'enseignement et d'éducation permanente ;
- la coopération avec les communautés culturelles sœurs à l'extérieur
de l'Europe ; - la protection du patrimoine architectural et urbanistique ;
- l'accueil des immigrés et des ressortissants d'autres communautés
culturelles.
Au niveau de l'ensemble de l'Europe, il faudra simultanément pratiquer une forte décentralisation en ce qui regarde les mises en œuvre des politiques culturelles (création, animation, participation…) et s'orienter vers certaines harmonisations (taux de TVA, vers le bas, sur les œuvres d'art, droits d'auteurs, statut des artistes…).
Enfin, une Europe des cultures ne peut être une Europe des seules grandes cultures de diffusion internationale. Avec la Déclaration de Bordeaux adoptée en 1978 par la Convention du Conseil de l'Europe sur les problèmes de la régionalisation, nous croyons que " la promotion des cultures minoritaires ou spécifiquement régionales contribue à la construction d'une Europe qui respecte ses diversités. La recherche d'un développement équilibré entre les régions ne peut en aucun cas se limiter au développement économique et social. La culture elle-même est un facteur essentiel du développement régional en général ".