Retrouvons-nous une politique nationale de la langue française et de la francophonie ?
langue française politique anglicisation : Nos associations ne sont pas seules à se poser la question. Car, depuis 1974, les présidents de la République successifs et leurs gouvernements, à la timide exception de François Mitterrand, se sont contentés de gestes, de rituels. Ils n’ont pas eu de politique cohérente en ces domaines. Ils ont, en fait, l’hégémonie anglo-états-unienne et la mode européiste aidant puissamment, laissé polluer et défigurer la langue française en France, s’éroder notre présence linguistique à Bruxelles et l’ensemble de notre action culturelle à l’étranger, et s’étioler l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) dont la succession du très respecté président Abdou Diouf, son secrétaire général jusqu’au Sommet francophone de 2014, fut alors confiée à la Canadienne Michaëlle Jean, grâce à l’aide déterminante de François Hollande.
Avouons qu'Emmanuel Macron candidat n’avait pas soulevé l’enthousiasme des Français attachés à la culture et à la langue françaises et à leur rayonnement à l’extérieur, ni nourri leur espoir de voir un redressement après 43 ans d’aboulie ou sabotage. Ses anglicismes : "helpers", "task force" et d’autres, pis : son discours de janvier 2017 en anglais à Berlin (Université Humboldt), n’avaient rien arrangé… Élu, le Président a persisté et signé jusqu’au "One planet Summit" organisé fin 2017 à Paris. Alors : poursuite, organisation de la chute ?
"En même temps", il avait, le 29 août 2017 dans son premier exposé de politique étrangère, donné une place inusitée à nos sujets, annoncé un appel mondial : "Mon idée pour le français" puis une réunion de diverses hautes personnalités de France et d’ailleurs, pour présenter en 2018 un "Plan pour le français". Ces promesses-là ont été tenues. Le 20 mars, à l’Académie française, il a, dans un beau français, lyrique, déroulé des dizaines de mesures constituant le plan annoncé.
Reconnaissons-le : nous n’avons jamais eu de discours de politique du français aussi cohérent et contenant de telles annonces présidentielles. De défensive, la Francophonie devient conquérante, non pour dominer quiconque, mais pour donner du monde une lecture plurielle, opposée à la globalisation anglo-saxonne. On y trouve beaucoup d’éléments très intéressants (voir ci-dessous), mais aussi les lacunes et zones d’ombre suivantes :
- Justifier en fait l’indulgence active à l’égard de l’ouverture (nécessaire !) chez nous, aux langues étrangères mais en fait surtout de l’invasion de la France par l’anglais, au nom d’un plurilinguisme revendiqué aussi au bénéfice du français en Europe et dans le reste du monde, constitue une sorte de pirouette d’application du fameux "en même temps".
- Par deux fois, nous avons, certes, entendu une prudente allusion au caractère hégémonique non de tel pays anglo-saxon, mais de la langue anglaise. Ce point aurait mérité une critique plus incisive. L’Académicien Jean-Marie Rouart ne relevait-il pas que la France (pas seule !) "devient une colonie culturelle américaine" ? Sont d’ailleurs absents de ce plan les remèdes aux très graves dérives anglo-américanisantes de certaines de nos institutions : des publicitaires, de l’audio-visuel à usage interne (l’extérieur étant traité), et surtout des milieux scientifiques, de la recherche, des universités et des grandes écoles, ces dernières ayant allègrement et impunément piétiné l’article 2 de la Constitution dont le Président est garant, et les lois Toubon et Fioraso, avec la complicité de plusieurs tribunaux de notre juridiction administrative qui se sont livrés à de honteuses contorsions juridiques pour rejeter les recours introduits par nos associations contre des formations offertes en anglais exclusivement. Des mesures s’imposent.
- Dans les zones ombreuses, il faut aussi noter que le Président ne traite pas sérieusement de la conquête très avancée par l’anglais des institutions européennes, puissant levier supplémentaire d’anglo-américanisation des pays membres. Il s’est contenté de s’étonner d’un ton badin, allant moins loin que M. Juncker, que l’anglais n’ait "jamais été aussi présent à Bruxelles au moment où nous parlons de Brexit". Espérons qu’il demandera, en Conseil européen, un changement majeur dans le statut actuel des langues officielles. En exigeant donc (avec l’Allemagne et l’Italie ?) sinon que l’anglais ne soit plus langue officielle, pure logique du Brexit, du moins que les autres officielles et a fortiori de travail retrouvent la plénitude de leurs prérogatives. Que les administrations des pays membres ne subissent plus cette humiliation de devoir travailler en anglais sur des textes non traduits, et y répondre uniquement dans cette langue.
- En cohérence avec la priorité africaine affirmée par le président, il nous paraît urgent de revenir au Sommet francophone de 2018 à la saine tradition rompue à celui de 2014 : qu’un chef d’État africain soit élu secrétaire général de cette OIF au potentiel si important pour le monde.
Parmi les orientations très souhaitables contenues dans la liste jointe, nous pouvons applaudir tout spécialement celles qui rejoignent nos propositions déjà anciennes : au rôle enfin reconnu à l’Outre-mer et à l’Afrique, notamment francophone ; et, sur le plan sectoriel, à l’enseignement maternel, primaire et secondaire, notamment du français, à son extension et à sa qualité, à la formation des maîtres, particulièrement des professeurs de français. Cela tant en France même, notamment pour les immigrés, qu’à l’étranger dans notre action culturelle, dans l’aide bilatérale française (APD) et multilatérale (ONU, FED, OIF) au développement économique, social, culturel, et à la création artistique en Afrique.
L’annonce importante la plus concrète parce que déjà marquée par des mesures préparatoires engagées, et assortie d’un agenda de réalisation, concerne le "laboratoire de la Francophonie" au château de Villers-Cotterêts (à lire dans le nouvelles). Emmanuel Macron reprend là les objectifs (documentation sur la diversité et le dialogue des cultures de la Francophonie, études, recherches, formations, débats et rencontres, bourses, stages, résidences) contenus dans notre projet d’Institut porté depuis son lancement en 2001, du balcon du château, par ALF et ses partenaires. Nous remercions le Président et Madame son épouse. Il y a là une belle création de nature à unir le couple dans les mémoires "l’Institut-Emmanuel-et-Brigitte-Macron", à l’instar de "l’Institut-Pierre-et-Marie-Curie", et du "théâtre Madeleine-Renaud-Jean-Louis Barrault"…
Le financement (200 millions ?) reste un problème à résoudre. Lors de l’entrée en 2012 du Qatar – alors très en cour - dans l’OIF, cet émirat avait été sollicité par nos associations. Or, aujourd’hui, les Émirats arabes unis sont déjà et membres de l’OIF, et en coopération récemment renforcée avec notre pays, mieux en cour et plus fréquentables. Ne pourraient-ils être abordés par l’État ?
Nous restons bien conscients de ce que nous sommes encore dans le registre non des actes accomplis, mais des annonces et des promesses cumulées. Nous avons tous sur les lèvres l’expression populaire "Tout ça, c’est bien beau, mais on attend les actes !" Mais, "en même temps", le fond de crédulité et d’irrépressible optimisme français nous susurre que notre Président a une fibre, n’est pas seul, et est allé trop avant dans la précision des solennelles annonces pour les oublier ou trahir."Noblesse (et force du discours) oblige !"
À Monsieur le Président de la République, à Madame Brigitte Macron - nous nous adressons au couple présidentiel pour des raisons aussi rafraîchissantes qu’évidentes – nous disons de notre long espoir ensommeillé qui maintenant rouvre un œil : "Merci ! et… Chiche ! !".
Albert Salon.
Des décisions heureuses annoncées le 20 mars dans le "Plan Francophonie" du président de la République
En sus des points les plus importants mis en valeur dans notre éditorial, nous relevons particulièrement, parmi la trentaine de mesures décidées :
1) En France : le renforcement de l’enseignement du français dans l’enseignement, et de ses méthodes d’apprentissage, la forte augmentation des heures de français pour les immigrés, la formation des professeurs, le regain de la lecture, de la littérature ; le refus de l’écriture inclusive ; l’ouverture des bibliothèques ; le soutien à la traduction (liée depuis longtemps à la France et au français) ; le décloisonnement des milieux de l’édition francophone, des États généraux de l’édition en français devant être organisés à Saint-Malo ; la création d’un Collège des Francophonies "qui mettrait en relation les académies des pays d’expression française", collecterait la diversité des usages du français, et superviserait la rédaction des dictionnaires ; l’appui aux entreprises qui respectent et promeuvent le français ; l’engagement du ministère de la Culture dans la création artistique et littéraire et la diffusion en France des créations par les pays membres de la Francophonie.
2) Hors de France : tenir mieux compte des conséquences du Brexit dans le rééquilibrage des langues officielles des institutions de l’Union européenne ; prendre pleinement en compte le dynamisme démographique de l'Afrique francophone et le potentiel induit de croissance de la langue française ; renforcer l’appui à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ;
Emmanuel Macron a fixé les objectifs de : sanctuariser le rôle et les moyens de l’Institut français tête de réseau de nos instituts divers, et centres culturels, à l’étranger ; renforcer le réseau des Alliances françaises et sa complémentarité avec celui des centres culturels publics ; "doubler le nombre d'élèves dans les lycées français à l'étranger, qui accueillent actuellement près de 350 000 jeunes dans 500 établissements à travers le monde", en créant des pôles régionaux de formation, comme au Mexique, pour former les nouveaux enseignants ; doubler le nombre d'étudiants étrangers en France venant des pays émergents, qui doivent être accueillis dans de meilleures conditions : un plan spécifique sera présenté début 2019.
Ces objectifs et décisions répondent assez bien (les lacunes les plus graves étant soulignées dans notre éditorial ci-dessus) à une bonne partie des propositions de politique du français et de la Francophonie formulées depuis plus de 40 ans par nos associations. Nous ne pouvons donc que les saluer, et espérer, surtout, qu’elles seront mises en œuvre rapidement et complètement. Albert SALON.
Le "Plaisir" de François 1er à Villers-Cotterêts a été confirmé solennellement le 20 mars dans son destin très prochain de château de la Francophonie.
La façade du château de Villers-Cotterêts (Aisne), joyau de la Renaissance, désormais muré aux deux tiers.
Pour Stéphane Bern, nommé chargé de mission le 16/09/2017 pour la sauvegarde du patrimoine en danger :
"restaurer le château de Villers-Cotterêts est une urgence absolue"
L’annonce présidentielle du 16 septembre 2017 de sa restauration et de son affectation à la Francophonie trouve sa traduction – logique pour le haut lieu de l’ordonnance d’août 1539, puis d’éclatant rayonnement au Grand siècle (Princesse palatine…) - dans le plan concret pour le français d'Emmanuel Macron : "un projet où, public, privé, État et collectivités se mettent ensemble autour de la langue française pour créer un espace de découverte de "toutes les cultures francophones", un lieu de documentation, de chercheurs, de travail, de création, d'écriture, de spectacles, de débat pour le public et de résidences pour les créateurs : artistes, chercheurs, entrepreneurs, institutionnels…".
De quoi réjouir beaucoup de personnes et d’institutions. En premier lieu notre association ALF qui avait lancé dès le 9 octobre 2001, du balcon visible sur la photo ci-dessus, le projet ambitieux d’Institut international de la Francophonie, avec les mêmes objectifs qui sont repris aujourd’hui, et qui, depuis lors, n’avait jamais cessé de le promouvoir, et de chercher des mécènes en mesure de compenser l’aboulie et l’impécuniosité de l’État pour cette bâtisse de 23 000 m² au remarquable potentiel. Pour réunir les sommes considérables nécessaires à la restauration, à l’aménagement des lieux, et à l’installation du projet, nous associatifs étions allés jusqu’à aborder – en vain - le Qatar, alors bien en cour, et entré en 2012, presque par effraction, dans l’Organisation de la Francophonie (OIF). Aujourd’hui, les Émirats arabes unis, déjà membres de l’OIF, mieux en cour et moins sulfureux que l’autre émirat, ne pourraient-ils être abordés par le gouvernement français ?
Le projet – entre 100 et 200 millions d’euros - vient d’être validé. Mais les études de diagnostic ont déjà été commandées à Olivier Weets, architecte en chef des monuments historiques, par le responsable, le Centre des Monuments nationaux (CMN) dirigé par M. Philippe Belaval. Les travaux de restauration porteront d’abord sur le bâtiment central au riche décor, afin de le rouvrir à la visite. L’étude concernant la rénovation des dépendances a, été confiée à l’architecte Jean Michel Wilmotte.
L’ouverture du site est pour l’instant prévue pour 2022. Albert SALON.