Pouria Amirshahi : Une gifle à la langue française
enseignement université colonisation Amirshahi
Nous reproduisons ici la tribune de Pouria Amirshahi, député PS publiée dans Marianne du 11 mai 2013. Lire également plus bas son amendement, signé par 39 députés socialistes, qui demande la suppression de l'article 2 du projet de loi Fioraso
Autoriser l'enseignement universitaire tout en anglais, comme le propose le projet de loi de Geneviève Fioraso, ministre de l'Enseignement supérieur, c'est porter un nouveau coup à la francophonie par Pouria Amirshahi (Député PS de la 9e circonscription des Français de l'étranger)
Qu'il est loin, ce 16 octobre 1993, quand François Mitterrand - au Sommet de la francophonie - s'opposait explicitement au président Clinton en lui reprochant de vouloir "imposer une façon de penser, de s'exprimer au reste du monde". Dire que, vingt-cinq ans plus tard, les élites françaises sont de plus en plus nombreuses à construire elles-mêmes cette horrifiante uniformisation du monde, sans que personne ne l'exige. C'est sans doute pour moi, en tant que francophone, la pire des humiliations. J'ai encore en tête les mots de Valérie Pécresse, en 2008, qui déclarait à la suite de Jean-François Copé, vouloir "briser le tabou de l'anglais" et prétendait en faire une seconde langue maternelle.
Après plus de deux décennies de renoncements, de remises en cause insidieuses - décennies marquées par l'extension de la pensée hégémonique néolibérale anglo-saxonne -, le projet de loi de la ministre de l'Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, en son article 2, porte un signal terrible, comme une gifle à la langue française qui unit tant de peuples sur les cinq continents.
De quoi s'agit-il ? D'étendre le champ des exceptions faites à la loi Toubon en autorisant l'enseignement universitaire tout en anglais. Tout. J'insiste sur ce point, car la confusion est trop souvent entretenue dans un élan de mauvaise foi : il ne s'agit pas d'enseigner "la" langue anglaise, mais de tout enseigner "en" langue anglaise.
Pour un Erasmus francophone
Cette entorse existe de fait déjà dans certaines grandes écoles. Doit-on vraiment la généraliser ? Faut-il vraiment l'encourager ? A HEC, par exemple, l'enseignement de l'économie se fait en anglais. Les élites françaises de demain sont donc formées-je n'ose dire formatées - par la pensée économique anglo-saxonne ultralibérale. Pour dire les choses brutalement, elles passent définitivement ainsi sous "tutelle intellectuelle". Pour cette seule raison, l'indigestion se fait déjà sentir en moi avant même qu'on n'ait tenté de me faire avaler la couleuvre. Mais s'en tenu : à la thèse de la "langue-idéologie" serait de courte vue, et même sans doute dangereux. En effet, le français ne véhicule pas en soi le colonialisme, l'allemand ne véhicule pas intrinsèquement le totalitarisme, l'arabe ne stipule pas l'inégalité de genre, le persan est très compatible avec l'amour du vin, etc. L'anglais véhicule donc aussi une part de la belle œuvre humaine. Et reconnaissons que c'est une langue utile à l'humanité du moment parce que ses rudiments sont mieux partagés. Il y en a eu d'autres, espérons qu'il y en aura d'autres. Tant qu'il n'y en a n'a pas qu'une...
Il faut donc répondre à tous les arguments.
"Faisons venir des étudiants des pays émergents, comme le Brésil, la Turquie ou la Chine." Soit. Nous en formons déjà des centaines de milliers en français dans le monde. A quoi : bon dépenser tout cet argent si c'est pour les faire venir étudier en anglais ? Surtout, comment penser que nous serons la destination de premier choix des étudiants avec une telle loi ? Les universités états-uniennes ou britanniques continueront d'être préférées à nos universités devenues anglophones Qui d'ailleurs ne le deviendront jamais tout à fait. Car en réalité et contrairement à un autre argument entendu, le passage à l'anglais fera baisser le niveau de notre enseignement supérieur car nous n'aurons pas les enseignants parfaitement à l'aise avec l'anglais. A moins de décider de recruter des enseignants anglophones...
On ne sait pas s'il faut rire ou pleurer de l'argument selon lequel "des cours en anglais amènent au français"... Surtout quand on observe, à l'expérience, ces nombreux étudiants étrangers qui traversent un "tunnel anglophone" et qui repartent sans avoir appris la langue française !
Pensons aussi qu'un des seuls critères de "vente s de cours de français destinés à des universitaires à l'étranger est de pouvoir leur fournir un instrument pour leur cursus en France. Si les cours sont dispensés en anglais en France, alors nous verrons l'influence de la langue française chuter, jusqu'à s'éteindre peu à peu.
L'enseignement supérieur en France dispose déjà d'atouts considérables. Valorisons-les plutôt que de battre notre coulpe : le coût de l'enseignement, l'intérêt culturel, la valeur des diplômes français sur le marché local, mais aussi les immenses débouchés que représentent les marchés du travail de l'espace francophone, en Amérique du Nord, en Afrique et en Europe, sont autant de ressources pour le rayonnement universitaire de la France. Car il existe aussi une francophonie économique, tournée vers le développement et le partage de la valeur ajoutée entre le Nord et le Sud, entre le Sud et le Sud aussi d'ailleurs. Pourquoi négliger autant cette potentialité au moment même où chacun observe une Afrique renaissante avec un taux de croissance à deux chiffres ? Car il est aussi des conséquences politiques, géopolitiques majeures à de petits renoncements : veut-on passer à côté des bouleversements en cours en Afrique maghrébine et subsaharienne ? Regretter que cette "Afrique de 600 millions de francophones" n'ait été qu'un train raté ? Un de plus !
Quel terrible signal donné à nos cousins québécois, africains et belges qui revendiquent, chérissent, cultivent notre langue commune au moment même où se joue sa place, parfois face à des sectaires éradicateurs.
Et si nous donnions plutôt à la francophonie les outils dont elle manque cruellement ? Par exemple, un Erasmus francophone. Par exemple, un passeport économique et culturel de la francophonie, traduction matérielle d'une appartenance commune, qui offrirait notamment aux artistes, étudiants, chercheurs et chefs d'entreprise francophones de nombreuses possibilités de mobilité. Par exemple, un portail numérique de la recherche francophone internationale digne de ce nom, qui donne vraiment les moyens à l'Agence universitaire de la francophonie d'exister plutôt que de se débrouiller. Par exemple. Et si nous avions un peu d'ambition ? Pouria Amirshahi
voir également le site de Pouria Amirshahi
Pouria Amirshahi est l'auteur d'un amendement, signé par 39 députés du groupe Socialiste, républicain et citoyen, demandant la suppression de l'article 2 du projet de loi Fioraso qui autorise l'enseignement en anglais dans l'enseignement dans l'enseignement supérieur.
Amendement présenté par M. Pouria Amirshahi
signé par Christian Assaf, Jean-Paul Bacquet, Christian Bataille, Philippe Baumel, Nicolas Bays, Jean-Pierre Blazy, Seybah Dagoma, Yves Daniel, Michèle Delaunay, Sébastien Denaja, Jean-Pierre Dufau, Hervé Féron, Michèle Fournier-Armand, Yann Galut, Jean-Patrick Gille, Daniel Goldberg, Pascale Got, Jérôme Guedj, Edith Gueugneau, Chantal Guittet, David Habib, Joëlle Huillier, Françoise Imbert, Michel Issindou, Régis Juanico, Laurent Kalinowski, Pierre-Yves Le Borgn’, Annie Le Houérou, Arnaud Leroy, Bernard Lesterlin, François Loncle, Jean-Philippe Mallé, Michel Ménard, Patrick Mennucci, Kléber Mesquida, Suzanne Tallard, Pascal Terrasse, Jean-Michel Villaumé et Paola Zanetti
Article 2
Supprimer cet article.
Exposé sommaire
Cet article est un recul par rapport à la loi Toubon de 1994 relative à ['emploi de la langue française qui spécifie : "la langue de l'enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d'enseignement est le français" et réaffirmant que ia langue de la République est le français, en vertu de l'article 2 de ia Constitution. Cette loi prévoit déjà des exceptions pour "les écoles étrangères ou spécialement ouvertes pour accueillir des élèves de nationalité étrangère, ainsi que les établissements dispensant un enseignement à caractère international" (art. 11). Dès lors, cet article n'a pas d'utilité, il convient en revanche de faire respecter la loi plutôt que de légaliser les pratiques délictueuses de certains établissements.
En posant l'anglais comme condition de l'attractivité de nos universités, nous courons le risque de marginaliser les étudiants francophones et ceux souhaitant apprendre notre langue. Pourtant, notre pays se classe au quatrième rang mondial des pays accueillant des étudiants étrangers et la connaissance de la langue française est la première raison mise en avant. Surtout, l'enseignement "tout en anglais" n'est pas nécessaire pour attirer des étudiants des pays émergents qui comptent, en leur sein, suffisamment de jeunes diplômés francophones ou désireux de le devenir.
Enfin, à l'heure où la recherche francophone, toutes disciplines confondues, est de plus en plus marginalisée sous la pression des revues anglophones, notre engagement pour la diversité culturelle et linguistique ne saurait avantager plus encore la langue anglaise - qui n'en a guère besoin - dans notre système d'enseignement supérieur et de recherche. C'est pourquoi ia suppression de l'article 2 est proposée.