Les 20 ans de la loi Toubon (2)

Les 20 ans de la loi Toubon (2)

Contribution à l’histoire de l’action de la rue de Valois en faveur de la Langue française : Le rôle méconnu, voire occulté, des associations pour le français et la Francophonie

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Le rôle des associations pour le français et la Francophonie est resté longtemps méconnu, voire sciemment minimisé, y compris dans les rapports remis aux pouvoirs publics, et jusque dans un colloque important très officiel, présenté en journée d’études quasi universitaires, et bien organisé le 13 octobre 2014 au Sénat, sur le Bilan des 20 années d’application de la "loi Toubon" 94-665 du 4 août 1994.

Législateurs et fonctionnaires des organismes officiels tendent, en France plus naturellement peut-être que dans d’autres pays développés, à se parer des plumes du paon, et à ne présenter au public que leur action, en taisant les précieux apports de la société civile.

Or, pour l’historien(ne), il peut être intéressant, voire indispensable pour la manifestation de la vérité – de nombreuses archives en faisant foi – de s’intéresser aussi à l’action propre des syndicats et associations diverses, qu’elle soit ou non associée à celle des acteurs publics.

Tel est le sens, dans le domaine régalien du français et de la Francophonie, de la présente contribution qu’un collectif d’associations françaises a jugé nécessaire d’apporter aux historiens et sociologues, et qui pourrait en cas de besoin être complétée par ses auteurs.

Une constatation s’impose d’abord : en cette matière, véritable cas d’école, l’action associative a précédé l’action du législateur, et a le plus souvent inspiré*, complété, voire dépassé ensuite largement dans l’application des textes, celle des organismes officiels.

Je ne remonte ici que jusqu’à Philippe Rossillon** pour les textes de 1966 (Haut-Comité de la Langue française), de 1972 (terminologie et commissions), de 1975 : "loi Bas-Lauriol", qui n'eût pas existé s’il n'en eût pas rédigé le brouillon,  puis encouragé les deux députés.

En ce qui concerne la Francophonie institutionnelle* : à Philippe Rossillon et à l'éminent Québécois Jean-Marc Léger, épaulés par Bernard Dorin, Hyacinthe de Montera, Xavier. Deniau, Martial de la Fournière, Daniel Jurgensen, des amis africains et autres, est largement dû le traité ACCT, de 1970, ancêtre de l’actuelle OIF, présenté comme tombé du ciel...

Encore en avril-mai 1992, Philippe Rossillon et les autres promoteurs d’ALF née fin 92, ont été à l'origine des actions parlementaires (MM. Deniau, Bellon, Legendre, Schumann, Toubon, et quelques autres) pour faire introduire dans l'article 2 de notre Constitution la très précieuse phrase : "La langue de la République est le français".

Et ce fut ALF, avec l'appui vigoureux de Rossillon alors encore en vie*, qui, dès 1992, se mit au travail pour rédiger ce qui fut la première esquisse de la loi du 4/8/94, la présenta à Mme Tasca, travailla avec ses conseillers (A. Ladousse, et aussi J. Simon), puis, après le changement de gouvernement du printemps 1993, présenta l’esquisse à M. Toubon et travailla avec ses conseillers MM. Portiche, Gény, Marek).

Aucun des deux ministres n’a fait allusion à ce travail…

Notre rôle a été ignoré, au colloque, par les intervenants qui ont fait référence pour s’en féliciter à l'inscription en 2008 de la Francophonie dans la Constitution, enfin obtenue (titre XIV, art. 87), après nos tentatives opiniâtres conduites en maintenant pendant 16 ans la mobilisation de nos amis parlementaires lors de toutes les révisions constitutionnelles réalisées entre 1992 et notre succès final en 2008. Il s’est pourtant agi d’une action constante et acharnée d’ALF, dont des archives témoignent.

Ignoré allègrement aussi le lancement, par 32 associations, du fort débat médiatique du 1er semestre 2013 au sujet du funeste article 2, modifiant la loi Toubon, du projet Fioraso par lequel nos grandes écoles et universités passaient à l’enseignement en anglais. La mobilisation réussie du public ainsi orchestrée a débouché sur des amendements intéressants (dont l’interdiction de formations exclusivement en anglais) présentés par des parlementaires de divers bords politiques. Il n’est que trop humain qu’ils en aient la gloire. Mais l’historien et le sociologue honnêtes devront retenir le grand mérite de nos 32 associations, agréées et non agréées. Nos archives sont à leur disposition.

Ignorés enfin nos recours signés par 13 associations, déposés contre les établissements et les ministères qui ont violé sans vergogne la loi du 22/7/2013 et son précieux amendement interdisant des formations diplômantes exclusivement en anglais.

Cette évidente forfaiture fut, dans le colloque du 13 octobre, recouverte d'un voile pudique. Mentionnée brièvement çà et là, sans relief ni insistance.

Sa dénonciation par nos associations a été presque complètement étouffée.

Une partie du public put peut-être en déduire qu’il s’agissait d’une entorse sans gravité.

Pourtant, si elle prenait de l’ampleur, ses conséquences sur la cohésion nationale, la vitalité intellectuelle et l’influence internationale de la France, seraient certainement désastreuses.

Nous informerons historiens et sociologues des suites données à nos recours.

Albert Salon, docteur d’État ès-lettres, ancien ambassadeur, commandeur du Mérite national, président d’Avenir de la langue française et coordinateur de réseaux francophones nationaux et internationaux.


* Les rapports pertinents au Parlement, le programme et les intervenants politiques et universitaires du colloque important et bien organisé du 13 octobre 2014, la liste des associations agréées par les ministères de la Culture et de la Justice, et celle de la trentaine d’associations françaises non agréées qui agissent en synergie, peuvent être consultés respectivement :

- dans les services de l’Assemblée nationale et du Sénat ;

- à la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), 6 rue des Pyramides - 75001 Paris et sur son site www.dglf.culture.gouv.fr :

** Sous l’égide d’Avenir de la langue française (ALF), un essayiste historien termine un livre sur Philippe Rossillon. Il prépare aussi, avec l’OIF et une équipe, une histoire de la construction des institutions de la Francophonie jusqu’à l’actuelle Organisation internationale (OIF).

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