Contre l’anglais langue unique des manuels aéronautiques

Contre l'anglais langue unique des manuels aéronautiques
Lettre aux sénateurs (10/11/2011)

transports aviation américanisation

Madame et Messieurs les Sénateurs,

Au nom d'Avenir de la langue française et de nos associations de promotion du français et de la Francophonie, j'ai l'honneur de vous saisir à nouveau de cette question récurrente de l'emploi du français par la compagnie nationale Air France, en appui à la démarche reproduite ci-après du syndicat ALTER des pilotes de la compagnie française.

Air-France, renforcée de sa composante anglicisante KLM, cherche à nouveau à construire en France une barrière légale contre l'emploi du français dans le ciel comme au sol. Elle multiplie les pressions sur le législateur comme sur l'exécutif.

Vous vous souvenez de sa précédente tentative, par l'intermédiaire de la proposition de loi de Mme la Sénatrice des Esgaulx, à laquelle la représentation nationale, dans sa sagesse, fit échec à la suite de toutes nos interventions conjuguées.

Nous assistons aujourd'hui, conformément à ce que le président du syndicat ALTER expose dans sa lettre ci-dessous reproduite, à une nouvelle tentative. Celle-ci a malheureusement obtenu un premier succès en première lecture à l'Assemblée Nationale le 18 octobre.

Les 32 associations et les 12 mouvements et cercles de réflexion politiques qui ont manifesté en force le 18 juin 2011 pour la langue française et la diversité linguistique et culturelle du monde, devant le Panthéon puis dans une marche dans le Quartier latin, vous demandent d'employer toute votre énergie pour empêcher que la Haute Assemblée approuve le texte sur lequel elle sera appelée à délibérer, le 8 décembre, semble-t-il.

Veuillez, Madame et Messieurs les Sénateurs, recevoir l'expression de tout notre espoir, de notre gratitude, et de notre haute considération.

Albert Salon, docteur d'État ès lettres, ancien Ambassadeur, président d'Avenir de la langue française et du Forum francophone international (FFI-France), vice-président de Droit de comprendre, administrateur de l'Association francophone d'Amitié et de Liaison (AFAL), du Forum pour la France (FPF), de l'Union des Gaullistes de France (UGF), et du Cercle Nation et République (CNR).


Démarche du syndicat ALTER des pilotes d'Air France

Sur le fond : En quoi l’usage d’une documentation technique en anglais améliore la sécurité des vols lorsque celle-ci est utilisée par des pilotes dont la langue maternelle est en français ?

Sur le mémoire d’Air France : Contredisant l’affirmation d’air France, la plupart des documents techniques en vigueur à Air France sont en langue Française. Et cela même pour ceux concernant les avions de construction américaine comme le Boeing 747/400 !

Il est donc fallacieux d’avancer la sécurité des vols et justifier du caractère international et de sa soumission à des règles techniques uniformes qu’Air France utilise les documents concernés par cette cassation en langue anglaise.

S’agissant des manuels d’utilisation Boeing :
Air France utilise des Boeing 777 et des Boeing 747/400. Pour les Boeing 747/400 les manuels d’utilisation sont en langue française. Pour les Boeing 777 seule la troisième partie du manuel d’utilisation (il y a trois parties) est en langue anglaise. AIR France supporte donc bien la majeure partie de la traduction des manuels d’utilisation des Boeing qu’elle utilise.

S’agissant des fiches ATLAS, certaines parties de ces fiches sont en langue française. Contredisant par la même l’affirmation que ces fiches sont en langue anglaise.

S’agissant des manuels d’utilisation des aéronefs fabriqués par la société Boeing, celui du 747/400 est entièrement en langue française et celui du 777 n’a qu’une de ses trois parties qui est en langue anglaise. (Il est à noter qu’Air France exploite des Boeing 777 et des Boeing 747/400)

S’agissant de la convention de Chicago :
Il est utile de noter que dans sa note citée en annexe (pièce 1) en page 6 l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale demande que les pilotes doivent prouver leurs compétences linguistiques également dans la langue de la station sol.
De plus, il est utile de rappeler que les langues officiellement reconnues par l’OACI sont l’anglais, le français, le russe et l’espagnol et cela dès 1968 (pièce 2).

S’agissant de la convention de Chicago, nous voyons qu’à chaque article anglais correspond son homologue en français, ce qui traduit bien la volonté des législateurs de faire perdurer cette langue comme langue internationale utilisée en aviation civile.
De plus, contrairement à ce que voudrait faire croire Air France, les articles 28 et 37 de la convention de Chicago, concernent effectivement les services de communications, mais qu’à aucun moment ces articles n’imposent la langue anglaise (pièce 3).

S’agissant du règlement CE n°216/2008 pièce 4 :
A aucun moment dans ce règlement il est fait référence à une obligation d’une rédaction en anglais des manuels de vol.
Au contraire comme indiqué dans une partie de ce règlement (pièce 4), "Les informations nécessaires pour le bon contrôle de la conduite du vol et les informations relatives aux conditions pouvant compromettre la sécurité doivent être fournies à l'équipage, ou au personnel d'entretien, le cas échéant, d'une manière claire, cohérente et non ambiguë."
Or la fourniture d’une documentation en langue anglaise aux pilotes de la compagnie Air France, pilotes dont la langue maternelle est française, contredit cette volonté.

S’agissant de la circulaire du 19 mars 1996 concernant l’application de la loi n°94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française :
Si le législateur a prévu que " Sont exceptés des obligations ci-dessus :
Les documents reçus de l'étranger ou destinés à des personnes de nationalité étrangère, en particulier les documents liés à l'activité internationale d'une entreprise ;"
Les documents dont le syndicat ALTER a demandé la traduction ne sont destinés qu’aux seuls pilotes de la compagnie et à eux seuls. A aucun moment l’activité internationale de la compagnie Air France justifie que ses pilotes aient à "partager" ces documents avec d’autres salariés anglophones.
Car tous les documents visés par l’injonction à traduire permettent aux pilotes de la compagnie Air France d’exercer leur métier dans des conditions optimales de sécurité car ils sont rédigés dans leur langue maternelle. C’est ainsi l’esprit de la circulaire du 19 mars 1996 concernant l’application de la loi n°94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française "L'usage de la langue française est obligatoire pour :
Tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l'exécution de son travail ;
Sont, en particulier, considérés comme tels les documents comptables ou techniques nécessaires à l'exécution d'un travail (par exemple : les livrets d'entretien utilisés par un service de maintenance).
En outre, le respect des règles de sécurité à l'intérieur de l'entreprise implique que les modes d'emploi ou d'utilisation de substances ou de machines dangereuses d'origine étrangère et destinées à être utilisées dans une entreprise en France soient rédigés ou traduits en français."
De plus je m’interroge sur la fin de cet article qui fait référence au caractère dangereux de certaines machines dont les modes d’emploi ou d’utilisation doivent être rédigées en français. Pouvons-nous nous servir de cet argument ?
Enfin, lorsqu'Air France soutient que l’agence européenne de la sécurité aérienne, en charge d’approuver les manuels de vols, lesquels doivent être rédigés en anglais, langue de travail de cette agence, cela ne vient-il pas tout simplement dire que cette agence demande cela pour faciliter son fonctionnement ? C’est pour les documents qui lui sont donc destinés et elle n’impose nullement aux compagnies d’avoir en interne des documents en anglais.

S’agissant de l’amendement à l’annexe 1 de la convention de Chicago :
Air France ne cesse de faire l’amalgame entre les compétences en langue anglaise lors des échanges radio entre les pilotes et les contrôleurs aériens et ceci afin de distiller le doute. Or sur le fond, le syndicat ALTER ne demande la traduction que de documents que les pilotes de la compagnie Air France doivent parfaitement maîtriser afin d’assurer leur métier dans la plus grande sécurité pour leurs passagers et les autres membres d’équipage.
Mais si nous mettions tout de même de côté cet amalgame volontaire que fait la défense d’Air France, sur le point des compétences linguistiques exigées de la part des pilotes par l’annexe 1 de la convention de Chicago : comme le reprend le document de référence de la Direction Générale de l’Aviation Civile " En France, l’évaluation des compétences linguistiques ne portera que sur la langue française et sur la langue anglaise, qui sont les 2 langues utilisées par le contrôle aérien français."Le législateur reconnaît donc bien que la langue française est une langue reconnue par l’OACI.
De plus, le contrôle de cette compétence ne concerne que la partie orale et technique de la maîtrise de la langue anglaise : "Un contrôle de compétence en environnement IFR (ou VFR), comprend deux épreuves orales :

• Écoute de bande :
• Vol fictif :" le législateur reconnaît également qu’à aucun moment il ne mesure la capacité des pilotes à assimiler et à restituer une documentation technique écrite en langue anglaise.

S’agissant de l’instruction du 13 novembre 2009 relative à la langue des manuels de vol en aviation générale :
Il est reconnu dans cette instruction, qui ne reste qu’une instruction non paru au journal officiel :
"Les manuels de vol pour un appareil porté au registre d’immatriculation français qui jusqu’alors n’étaient acceptés qu’en français pourront également être acceptés en anglais."il apparaît donc que la normalité reste des manuels en français et que ceux en anglais pourront être acceptés alors que ce n’était pas le cas.
De même : "Si le propriétaire ou l’exploitant de l’aéronef estime nécessaire d’avoir un document en français accepté comme équivalent, il lui appartiendra de se procurer une traduction du manuel de vol en français sous sa seule responsabilité. Il lui incombe de s’assurer des compétences de la personne chargée de la traduction." Il apparaît là que ce que veut combattre Air France c’est le fait de la responsabilité de la traduction des documents anglais en langue française.


Proposition de loi relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives, adoptée en 1ère lecture par l'Assemblée nationale le 18 octobre 2011, TA n° 750

Article 72 ter (nouveau)
Après l’article L. 6221-4 du code des transports, il est inséré un article L. 6221-4-1 ainsi rédigé :
"Art. L. 6221-4-1. – Les documents techniques nécessaires à la construction, à la maintenance, à l’utilisation opérationnelle des aéronefs et aux supports de formation dans ces domaines bénéficient du même régime que ceux mentionnés au dernier alinéa de l’article L. 1321-6 du code du travail."

Article L1321-6
Le règlement intérieur est rédigé en français. Il peut être accompagné de traductions en une ou plusieurs langues étrangères.
Il en va de même pour tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail.
Ces dispositions ne sont pas applicables aux documents reçus de l'étranger ou destinés à des étrangers.
Article L6221-4
Créé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V)
Les agents de l'État, ainsi que les organismes ou personnes que l'autorité administrative habilite à l'effet d'exercer les missions de contrôle au sol et à bord des aéronefs ont accès à tout moment aux aéronefs, aux terrains, aux locaux à usage professionnel et aux installations où s'exercent les activités contrôlées. Ils ont également accès aux documents de toute nature en relation avec les opérations pour lesquelles le contrôle est exercé.
En cas d'opposition du responsable des lieux, la visite ne peut se dérouler que conformément aux dispositions du titre Ier du livre VII de la première partie du présent code.

Parcours de l’amendement
Commission des Lois - 5 octobre 2011
Amendement CL111 présenté par M. Vannson
___

Article Additionnel
après l’article 72, insérer l’article suivant :
"Après l’article L. 6221-4 du code des transports, il est inséré un article L. 6221-4-1 ainsi rédigé :
"Art. L. 6221-4-1. – Les documents techniques nécessaires à la construction, à la maintenance, à l’utilisation opérationnelle des aéronefs et aux supports de formation dans ces domaines bénéficient du même régime que ceux mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 1321-6 du code du travail."
Exposé sommaire
L’article additionnel après l’article 72 concerne l’utilisation de la langue anglaise dans les manuels aéronautiques. Il est réservé aux documents techniques nécessaires à la construction, la maintenance, l’utilisation opérationnelle des aéronefs et aux supports de formation dans ces domaines. Il leur permet de bénéficier du même régime que ceux mentionnés au troisième alinéa de l'article L.1321-6 du code du travail. Cet article n’a cependant pas vocation à affaiblir l’attachement des acteurs français du monde aérien à l’usage de la langue française dans les relations quotidiennes de travail. De larges pans de l’activité aéronautique française ne sont pas concernés par cet article additionnel.

L’article L.1321-6 du code du travail impose que tout document comportant des dispositions nécessaires au salarié pour l’exécution de son travail soit rédigé en français à l’exception des documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers. Cette disposition s’applique aux entreprises et établissements industriels et commerciaux sans critère de taille. Pour l’utilisation opérationnelle, la construction ou la maintenance des aéronefs, ce secteur représente en France près de 650 entreprises dont un grand nombre de petites et moyennes entreprises.
Les considérations qui ont conduit à prévoir une dérogation générale au bénéfice des "documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers" trouvent à s’appliquer en matière aéronautique. Néanmoins, la rédaction actuelle ne permet pas de prendre en compte la spécificité de ce domaine.
Au cours des vingt dernières années, le développement du transport aérien sur l’ensemble de la planète s’est accompagné d’un recours à l’anglais aéronautique, au vocabulaire très spécifique et très restreint, qui est pratiqué à titre exclusif par l’ensemble des acteurs.
Cette exclusivité garantit une communication claire et répondant à l’exigence essentielle de la sécurité.

Sans méconnaître l’importance de l’usage de la langue française, l’obligation juridique de traduction soulève des difficultés importantes pour les documents techniques nécessaires à la construction, à la maintenance à l’utilisation opérationnelle des aéronefs, volumineux, complexes, spécialisés, rédigés par les constructeurs de différentes nationalités, uniquement en langue anglaise. D’où de très grandes difficultés pour les actualisations fréquentes, du fait notamment des évolutions liées à la sécurité : traduire ces documents serait une opération délicate, parfois même discutable, coûteuse et excessivement longue. La terminologie utilisée dans les manuels correspond précisément aux indications et messages diffusés dans les cockpits.

Les avions "communiquent" en effet en anglais avec les pilotes. Les risques de contresens et d’imprécision peuvent être gravement préjudiciables à la sécurité.
La traduction systématique placerait les opérateurs français dans une situation difficile par rapport aux opérateurs étrangers qui, pour certains, exploitent le même réseau et les même dessertes que les opérateurs nationaux. De plus, elle ferait peser sur les constructeurs aéronautiques et leurs sous-traitants établis en France des sujétions considérables par rapport aux autres constructeurs étrangers.

Au niveau européen, l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) utilise la seule langue anglaise pour la certification des aéronefs et pour la diffusion des consignes de navigabilité suite à des incidents, avec effet parfois immédiat. Ces documents sont directement applicables par toutes les entreprises aériennes européennes, leurs personnels ainsi que les autorités de surveillance des États membres de l’Union européenne. Dès lors, tant pour des raisons impérieuses de sécurité que par souci de compatibilité avec les pratiques internationales et européennes, une évolution législative s’avère nécessaire afin de clarifier le régime juridique applicables aux documents techniques de sécurité relatif à la construction, l’utilisation opérationnelle, la maintenance ou la navigabilité des aéronefs par rapport au principe général d’utilisation de la langue française.

Débats en Commission des Lois
Article additionnel après l’article 72 : (art. L. 6221-4-1 [nouveau] du code des transports) : Utilisation de la langue anglaise dans les manuels aéronautiques
Puis elle examine l’amendement CL 111 de M. François Vannson.

M. François Vannson.
Cet amendement répond à une demande formulée par la direction générale de l’aviation civile et concerne l’utilisation et la vulgarisation de la langue anglaise dans le domaine, très précis, des aéronefs.

M. le Président Jean-Luc Warsmann.
Nous sommes évidemment très attachés à l’usage du français. Mais il s’agit ici d’une question de sécurité pour les aéronefs

M. le rapporteur.
L’article 2 de la Constitution rappelle que la langue de la République est le français, mais le Conseil constitutionnel a précisé, en 1999, que l’usage du français s’imposait aux personnes morales de droit public et aux personnes morales de droit privé dans le cas précis de l’exercice d’une mission de service public. Le Conseil d’État a, quant à lui, jugé qu’il ne se déduisait pas de l’article 2 de la Constitution une obligation d’user du français dans les relations de droit privé. Dès lors, un tel amendement peut donc être admis.
La Commission adopte l’amendement CL 111.

Ce contenu a été publié dans Éditoriaux 2011-2015. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.