Cinq centimes pour la langue ! Utopie francophone prophylactique

Cinq centimes pour la langue !
Utopie francophone prophylactique

par Yvan Gradis

prononciation langue française

Que l’on soit moderne ou classique, laxiste ou puriste, analphabète ou érudit, on sent bien qu’une langue n’est pas n’importe quoi, pas plus que ne l’est une monnaie : il ne viendrait à l’idée de personne de décider que telle ou telle pièce vaut 10 centimes plutôt que 20.

La plupart des locuteurs ont, plus ou moins, le souci de leur langue : du bébé au vieillard, ils n’aiment ni ne pas comprendre, ni ne pas se faire comprendre.

Et le succès permanent, universel, des poètes, chansonniers et autres joueurs de mots atteste l’amour général de la langue.

La France s’est dotée d’outils et d’institutions pour protéger cette fragile et attachante création qu’est sa langue : l’Académie française, la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, la Commission d’enrichissement de la langue française, Le Trésor de la langue française, Le Petit Robert, Le Petit Larousse, La Grande grammaire du français et bien d’autres dictionnaires, grammaires et manuels d’orthographe ou de conjugaison.

Tous font peu ou prou autorité.

Sans parler des professeurs, linguistes, correcteurs et historiens de la langue, ni de la littérature elle-même, où n’a jamais régné le n’importe quoi, fût-ce sous le signe de l’écriture automatique : dès qu’on est en âge de s’exprimer, on n’aligne pas les mots n’importe comment (un bébé n’appelle pas son papa "maman", ni sa maman "papa"…).

Certains ont plus que d’autres la responsabilité de défendre et illustrer la langue française, car ils en font un usage public massif : les journalistes, animateurs, présentateurs de radio et de télévision, pour s’en tenir aux médias audiovisuels, les plus influents.

Et le public n’est pas moins dépositaire que les langagiers professionnels du trésor que constitue une langue.

Le public, véritable champ de bataille où se joue l’avenir d’une langue : en acceptant de se laisser contaminer par lesdits langagiers, ou au contraire en résistant à ce dépérissement, chacun de nous, qu’il le veuille ou non, est l’artisan de l’évolution de la langue, de son épanouissement ou de sa déchéance.

Toutefois, dans la guerre quotidienne menée contre la langue, si chacun de nous est armé d’un modeste fusil, chaque journaliste est doté, lui, d’un missile.

Que votre voisin de palier dise "pas de souci" au lieu de "pas de problème", et vous penserez que cela se dit probablement.

Qu’un journaliste prononce "au final" au lieu de "finalement", et vous penserez que cela se dit assurément.

Toute guerre a ses déserteurs ou ses objecteurs de conscience.

Parmi les journalistes, certains ont sans doute le souci de la langue.

Si on leur demandait s’ils préfèrent l’illustrer ou contribuer à son dépérissement, il y a de grandes chances qu’ils prétendent opter pour son illustration.

La langue n’est-elle pas, après tout, leur fonds de commerce ! Prenons ceux-là au mot et incitons-les à entretenir la principale fonction du langage : la communication.

Incitons-les à devenir, par l’exemple, des ferments du bon parler.

Voici comment.

Un citoyen relève une erreur dans la bouche d’un journaliste :

- erreur de prononciation : "Paul emploi" [Pôle emploi], "gage-heure" [gageure], "con sang suce" [consensus], "abassourdi" [abasourdi]… ;

- erreur de vocabulaire : "somme conséquente" [somme substantielle, importante], "avoir l’opportunité de voyager" [avoir l’occasion de voyager], "c’est pas évident" [ce n’est pas facile], "le restaurant s’est ouvert sur Lyon" [le restaurant s’est ouvert à Lyon]… ;

- erreur de syntaxe : "assis-toi" [assieds-toi, assois-toi], "on se demande qu’est-ce qu’il va penser" [on se demande ce qu’il va penser], "un des hommes d’État qui a le plus développé son pays" [un des hommes d’État qui ont le plus développé leur pays], "ce que j’ai peur" [ce dont j’ai peur], "c’est de ça dont j’ai envie" [c’est de ça que j’ai envie], "les personnels hospitaliers exigent" [le personnel hospitalier exige], "une trentaine de forces de l’ordre sont intervenues [une trentaine de policiers, d’agents, de gendarmes sont intervenus]… ; - tic de langage : "être en capacité de" [être capable de], "compliqué" [difficile], "cette attitude est un vrai sujet" [cette attitude est un vrai problème], "un chapitre dédié aux relations internationales" [un chapitre consacré aux relations internationales], "l’adjoint en charge de l’espace public" [l’adjoint chargé de l’espace public], "flyer" [tract], "impacter" [toucher, affecter], "cela fait trois ans qu’il est parti" [cela fait trois ans maintenant qu’il est parti]…

Le citoyen, témoin de l’erreur, relève le nom de l’organe de presse, le jour et l’heure, l’identité du journaliste.

Il signale l’erreur audit organe.

Après confirmation éventuelle de l’erreur par les autorités langagières susdites, l’organe transmet le signalement audit journaliste fautif, qui se voit placer devant l’alternative suivante : soit se voir amputer son prochain salaire de 5 centimes, ce qui ne manquera pas de le sensibiliser, soit réparer publiquement son erreur, en déclarant : "Tel jour, à telle heure, j’ai dit “l’avion s’est crashé”, au lieu de “l’avion s’est écrasé”.

D’une pierre quatre coups : on mobilise le citoyen, on améliore le journaliste, on instruit le public, on défend la langue.

Yvan Gradis

L’auteur Yvan Gradis, relecteur, correcteur, conteur, écrivain et ancien administrateur d’Avenir de la Langue française (ALF), nous donne ici une petite leçon fort bienvenue sous forme de redressement de fautes trop courantes. Nous souhaitons comme lui diffuser le plus possible cet excellent texte, et vous invitons à le diffuser à votre tour. Albert Salon


 

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