13e sommet de la Francophonie à Montreux

Le 13e sommet de la Francophonie de Montreux

Défis et  visions d’avenir pour la Francophonie

OIF Francophonie Montreux politique

22-24 octobre 2010 à Montreux (Suisse) [Essai de bilan par Albert Salon]

Essai de bilan dans lequel je relève, aussi objectivement que possible, les points positifs et négatifs qui me paraissent être les plus importants pour la cause que nous défendons.

Pour les textes, présentations officielles et politiquement très correctes de l’organisation, de la fréquentation et des admissions nouvelles, des discours, de la déclaration finale, des résolutions adoptées, des réunions diverses des opérateurs et organismes de la Francophonie, ainsi que des activités du Village de la Francophonie (pour les ONG et la "société civile"), je vous recommande la visite des sites de l’OIF : www.francophonie.org, www.francophoniemontreux2010.ch, et du Carnet de Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre, représentant personnel  du Président de la République pour la Francophonie
Pour une vue plus "perplexe" d’Usbek le Persan dans sa lettre pertinente à Rica (alias Claude, l’un de nos administrateurs), veuillez vous reporter au texte mis à la suite de celui-ci.

1) Organisation, déroulement, participation des États et gouvernements, échos dans les médias :

Ce "Sommet suisse", prévu à Madagascar, mais qui n’avait pu s’y tenir pour des raisons politiques ; était celui du cinquantenaire des indépendances africaines et du quarantième anniversaire du traité de Niamey créant l’Agence ancêtre de l’OIF
Or, si la participation des 70 États et gouvernements membres (à part entière, associés et observateurs), et des 5 candidats à l’admission, a été assez satisfaisante (54 personnes sur la grande "photo de famille" du samedi 23), leurs délégations nationales n’ont été que 40 conduites par des Présidents ou Premiers Ministres. Bien des Sommets antérieurs avaient réuni plus de Chefs d’État et de gouvernement. Plusieurs d’entre eux, dont le Président français (comme il l’avait fait en 2008 à Québec, pour aller voir M. Bush à Washington avant le G20), se sont retirés dès la soirée du samedi 23 octobre.

Absences notamment de Paul Kagamé (Ruanda passé au Commonwealth), du Président de la Côte d’Ivoire, en élections présidentielles…Le Président algérien, venu à titre d’invité personnel à deux Sommets dans le passé, ne s’est pas déplacé cette fois.

Très bonnes organisation et animation par le pays hôte. A souligner !
Un dispositif de sécurité impressionnant, un peu trop, aux yeux de certains.
Déroulement harmonieux, sans incident notable.
Bons échos dans les médias suisses, en fait surtout dans les cantons francophones.
Échos étonnamment faibles dans les grands médias français, qui ont concentré leurs commentaires succincts surtout sur l’étape pré-G20 que le Sommet constituait pour le Président français, comme ce fut le cas au Sommet de 2008 à Québec.
Couverture d’occultation ?...

2) La substantifique moelle des discours officiels :

- Présidente de la Confédération helvétique, Mme Doris Leuthard :
Propos de haute tenue axés sur l’importance de la Francophonie et sur le rôle et les propositions concrètes de la Suisse pour améliorer son fonctionnement et son contenu.

- Secrétaire Général de l’O.I.F., M. Abdou Diouf :
Insiste sur la spécificité irremplaçable de l’apport de la Francophonie à la paix et à la promotion de l’État de droit, au dialogue des cultures dans le monde, à l’exemplarité de la solidarité Nord-Sud à laquelle elle œuvre, et dont elle pourrait être un exemple.
Ainsi que sur la réforme de toute la gouvernance mondiale, à laquelle l’Afrique doit prendre sa juste part.
Allusion discrète aussi à la nécessité d’une plus grande volonté politique francophone de la part des principaux pays membres. Citant Virgile, et indirectement Barak Obama : "Ils peuvent parce qu’ils croient pouvoir", il émet le vœu que l’on se mette à "croire que nous pouvons"…

- Président de la République française, M. Nicolas Sarkozy :
Très bonne affirmation de la langue française et de la coopération-solidarité francophone par l’aide au développement, et contre tout monolinguisme.
Discours consacré pour moitié à la crise financière et économique, et aux réformes tant du système financier international que de la gouvernance mondiale, permettant à l’Afrique d’y affirmer sa place légitime.
Destiné à s’assurer, comme ce fut déjà le cas en 2008 à Québec, l’appui de toute la Francophonie en vue du G20 important en novembre à Séoul, sous sa présidence d’un an.

- Ministre Bernard Kouchner, lors de la Conférence ministérielle qui précéda le Sommet :
Il a, certes, payé son tribut obligé à la langue française, mais a ajouté que l’ouverture nécessaire allait dans le sens de l’apprentissage de l’anglais par tous les francophones, et - au titre d’une réciprocité qui doit à lui aussi paraître illusoire – de l’apprentissage du français par les anglophones. Fidèle ainsi au titre qu’il donna à un chapitre de son livre : "L’anglais, avenir de la Francophonie"…

3) Le contenu et l’apport réels du Sommet :
De la Déclaration finale et des résolutions thématiques adoptées, il ressort essentiellement les points suivants :

La Francophonie acteur des relations internationales et sa place dans la gouvernance mondiale :
Les décisions prises reflètent assez fidèlement les orientations proposées dans les deux principaux discours précités.
Avec une nuance importante : la primauté de l’ONU, organe central de la gouvernance mondiale avec son Conseil de Sécurité à rééquilibrer, est réaffirmée avec force, le G20, dont l’importance n’est pas ignorée, devant agir en synergie, en complémentarité avec l’ONU et ses organes.
Un engagement particulier est pris en faveur de la reconstruction et de l’école en Haïti.
Le Secrétaire Général, M. Abdou Diouf, a été, à 75 ans, réélu à l’unanimité pour un troisième mandat de quatre ans. Il est chargé de mettre en œuvre les décisions adoptées.
D’autres personnes, dont la romancière et militante franco-camerounaise Calixthe Beyala qui militait pour un rajeunissement de la direction et une dynamisation des programmes de l’institution, n’ont bénéficié de la présentation officielle préalable – indispensable - d’aucun pays.

La Francophonie et le développement durable :
Solidarités francophones pour le climat, la diversité biologique,, la sécurité alimentaire, la lutte contre la désertification, pour la gestion de l’eau, des forêts, de l’énergie, pour la réalisation des objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), notamment pour une éducation primaire de qualité pour tous, et pour l’application concrète de la Convention UNESCO de 2005 sur la diversité culturelle et les politiques culturelles nationales des pays membres…
Voir pour plus de détails les textes de la Déclaration et des résolutions thématiques sur les sites officiels recommandés plus haut.

La langue française et l’éducation dans un monde globalisé :
Il est important que ce thème vital, urgent pour la pérennité de l’O.I.F. et le maintien de la diversité linguistique et culturelle du monde, ait été l’un des principaux de ce Sommet, après, il est vrai, un premier "galop d’essai" en octobre 2008 à Québec.

Nos associations, ALF en tête, promouvaient depuis des années l’idée de faire bénéficier le français, dans les pays membres qui ont tous voulu adhérer à l’OIF, d’une "clause de la langue étrangère la plus favorisée" donnant au français dans ces pays une place au moins égale à celle de toute autre langue non nationale
A Québec, cette idée avait fait enfin une première et timide percée : des "pactes linguistiques" devaient être conclus entre l’OIF et ses membres. Deux ans plus tard, au Sommet de Montreux, l’OIF n’a pu faire état – plutôt piteusement - que de trois pactes signés : avec le Liban, Sainte-Lucie, et les Seychelles…

Heureusement les délégations ont, à Montreux, pris des décisions qui reprennent des éléments importants de notre "clause de la langue étrangère la plus favorisée".
L’aide à la diffusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), et l’attachement préférentiel des membres à la chaîne internationale et multilatérale francophone TV5, ont été vigoureusement réaffirmés.

La proposition de la Suisse de constituer un "réseau d’excellence des sciences de l’ingénieur de la Francophonie" (RESCIF) a été acceptée, sa mise en œuvre devant se faire en partenariat avec l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF).
Le chef de file de ce réseau d’excellence sera l’École d’ingénieurs de Lausanne, établissement certes de qualité, mais qui est connu pour enseigner principalement en anglais. "L’anglais, avenir de la Francophonie" selon M. Kouchner ? Et, en France, selon Mme Valérie Pécresse, et MM. Richard Descoings et Pierre Tapie ?...

Il est cependant intéressant de noter dans la Déclaration la volonté de définir une politique synergique de promotion du français, en vue de son adoption en 2012 lors du XIVe Sommet qui doit se tenir à Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo, si les conditions politiques le permettent alors. Et, sur la proposition du Québec, la vieille capitale de la Nouvelle France accueillera au printemps, organisé par l’OIF en liaison avec le gouvernement du Québec, un "Forum mondial de la langue française", pour mettre en forme ladite politique à adopter au Sommet d’octobre 2012 en RDC.

4) Les à-côtés du sommet :

- Les réunions des opérateurs : résultats : assez intéressants dans l’ensemble : voir les sites du Forum francophone des Affaires, de l’Agence internationale des Maires francophones, de l’Association internationale des Régions francophones (Mme Ségolène Royal a été élue à sa présidence), de l’Agence universitaire de la Francophonie, de TV5-Monde…

- Le Prix des Cinq Continents de la Francophonie : à la lauréate 2010, la romancière roumaine Liliana Lazar.

- Le Village de la Francophonie : une soixantaine de petits chalets-comptoirs dressés sur les bords du Lac Léman, et diverses expositions spectacles, tables rondes, animations ; nombreux contacts ainsi facilités entre associations et "sociétés civiles" francophones de divers continents.
Mais peu de contacts de ces associations avec les participants accrédités au Sommet lui-même, "en bulle" dans leur protection de sécurité. L’OIF et les autres organisateurs n’ont pas encore résolu l’épineux problème de la relation avec "la société civile" tant vantée par ailleurs à la cantonade : la symbiose "institutions-peuples francophones" restera sans doute longtemps un rêve…

Notre Association Avenir de la langue française (ALF) a été présente par quatre de ses membres, dont une distinguée Suissesse et un Sénateur français qui se trouvait là à titre officiel.
Le Comptoir du Carrefour des Acteurs Sociaux dirigé par M. Joël Broquet l’a hébergée, et la documentation ALF a pu être distribuée à qui de droit, notamment nos propositions de politique de la langue française et de la Francophonie.

5) L’admission de 5 nouveaux États observateurs :
Bosnie-Herzégovine, Émirats Arabes Unis, Estonie, Monténégro, République dominicaine.
Israël, candidat depuis longtemps, devra encore attendre en raison de ses relations avec divers États membres qui sont arabes.

L’élargissement l’emporte, encore une fois, sur l’approfondissement, et ce, sans augmentation sensible des crédits multilatéraux.
Il est vrai que c’est la maladie principale de presque toutes les organisations internationales.
Le Sommet de Montreux a encore confirmé la tendance fort discutable à admettre des pays qui ont peu de liens avec la Francophonie et ne cherchent guère pour autant à développer la place du français dans leur enseignement, leurs médias et leurs relations internationales. Tendance non sans danger à un ensemble flou, à une sorte d’ONU-bis…

En définitive, ce Sommet, comme les douze qui l’ont précédé depuis février 1986, prête, certes, le flanc à maintes critiques de la part des sceptiques qui ont eu hélas trop souvent raison.
Mais l’honnêteté me commande de souligner qu’il présente tout de même, dans plusieurs domaines, particulièrement dans celui de la promotion du français, des aspects réellement encourageants.
Il ne manque guère que ce à quoi M. Abdou Diouf faisait une allusion discrète mais transparente dans son discours à l’ouverture des travaux : plus encore que l’argent, la volonté politique des principaux États bailleurs de fonds, au premier chef, bien sûr, de la France, qui ne devrait surtout pas suivre les théories et la pratique de son ministre des Affaires étrangères et européennes…

Albert Salon, ancien ambassadeur, président d’Avenir de la langue française.


Et voici la lettre persane de l’ami Usbek :
Cher Claude,
Je me demandais ce que signifiait "OIF".
Est-ce une interjection, une onomatopée africaine, un borborygme de vos banlieues "ouaf" ?
Grâce aux informations données par les stations de Radio France et la lecture du journal le Monde, j'ai appris qu'il s'agissait de l'Organisation Internationale de la Francophonie.
En écoutant attentivement ces bulletins d’information j’ai su que :
Cette conférence se passait à Montreux, en Suisse.
Le président de ce machin, M. Abdou Diouf a été réélu, à l'unanimité, pour un troisième mandat de quatre ans.
M. Nicolas Sarkozy, le président de la république française, a prononcé un important discours (historique ?) devant 43 ou 47 ou une cinquantaine de chefs d'État et de Premiers Ministres.
Dans cette allocution il a promis, en tant que futur président du G.8 et du G. 20, de parler en leur nom et d'imposer au moins deux pays africains dans ces organisations.
M. Sarkozy a pu s'entretenir avec les présidents du Niger et de la Mauritanie du sort des otages
"AREVA". Il a rappelé avec force et vigueur que la France ferait tout pour obtenir la libération de ces otages innocents.
Puis tous ces chefs d'État et ministres ont décidé d'apporter une aide francophone à Haïti. (Je croyais que c'était déjà le cas depuis plusieurs mois…)
Le lendemain, RFI (Radio France internationale) nous informait que le ministre des affaires étrangères de la France, M. Bernard Kouchner, avait déclaré que ce n'est pas parce qu'on est francophone qu'on ne doit pas apprendre l'anglais, bien au contraire ; cela est indispensable pour se faire comprendre et vivre pleinement dans la modernité.
C'est bien ce qu'avait compris mon ami du Cameroun francophone qui voulait étudier l'économie dans une université française et qui n'a pas obtenu de visa -- tandis que son collègue du Cameroun anglophone, inscrit dans un "bizness school" à Nice, à 7.000 € l'an, n'a eu aucune difficulté pour recevoir son visa.
Un ami vaudois me faisait part de sa frayeur -- croyant à une attaque fomentée par mon président, Monsieur Ahmadinejad, violant la neutralité de la Confédération helvétique -- lorsqu'il a vu les forces aériennes, les hélicoptères, l'armée, les gendarmes et les polices de Suisse et de France se déployer au-dessus, autour et dans Montreux !
Heureusement la radio romande l'a tranquillisé : ce déploiement de forces n'était que pour assurer la sécurité du président de la république francophone voisine.
Enfin l'assemblée de l'OIF a décidé que sa prochaine réunion se tiendrait à Kinshasa en République Démocratique du Congo et de sources proches de la présidence française il se dit que le ministre Bernard Kouchner a obtenu du président Nicolas Sarkozy,- au cas où ils seraient reconduits dans leurs postes respectifs en 2012 -, l'autorisation de pouvoir s'y exprimer en anglais afin que tous les participants comprennent son discours, sans l'aide d'un interprète.
Inutile de vous dire, cher ami, que j'ai conseillé à mon fils, demeuré au pays, de choisir d'apprendre l'anglais plutôt que le français. Je l'ai fait à contrecœur mais je me dois d'être pragmatique (une vertu bien anglaise, me semble-t-il).
Comme il est étrange que tous les grands chefs francophones, en ces temps d'austérité, ne songent pas à verser l'argent de ce grand raout pour payer des instituteurs, des professeurs pour développer l'instruction publique dans ces pays ayant "le français- la pauvreté, la concussion, la corruption,- en partage"
Bien à vous et à vos amis d'Avenir de la langue française.

Usbek

À Paris, le 3 + 5 de la lune Sarkozy.

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