Une lettre de Suisse
La langue d’Emma
Suisse franglais langue française : Hommage à la langue de ma mère, Emma, décédée durant la période de confinement, à cette langue française dont je revois encore les lettres qu’elle écrivait dans son jeune temps, dans un style d’une sobriété et d’une limpidité étonnantes, langue désormais rejetée de partout comme "lingua non grata" et qui est en passe de la rejoindre six pieds sous terre
La Langue d’Emma, c’est ce parler pétillant dont l’évolution a été stoppée nette par l’intrusion des "silures"* anglo-saxons qui absorbent toutes les possibilités de son champ lexical ; c’est sur cette langue que se joue pourtant la plus surréaliste des farces dans nos ministères et les tours d’ivoire d’une élite bien-pensante où l’on fait encore des tonnes de projets mirifiques pour un idiome qui n’est plus que l’ombre de lui-même.
La Langue d’Emma, c’est cette langue qui, dans les instances européennes, tenait naguère encore la dragée haute à l’anglo-américain que tout une arrière-garde occulte tentait déjà de mettre en place pour assouvir ses desseins de prédation à l’échelle planétaire ; c’est cet idiome qui, aujourd’hui, à l’heure du "Brexit", fait bien pâle figure au sein d’organismes "anglolâtres" où un président français en plein déni s’apprête à faire du français un patois de plus au sein de l’Union européenne.
La Langue d’Emma, c’est une des langues d’une Confédération helvétique où l’on vante "cohésion sociale" et "paix des langues"… dans un pays pourtant dévasté linguistiquement ; c’est ce parler qu’un scandaleux sectarisme constitutionnel, une malhonnêteté intellectuelle et des garde-fous inexistants condamnent à l’exil… et les citoyens à un illettrisme ahurissant, la classe politique helvétique n’étant plus que de bien piètres marionnettes ligotées par les zélateurs du "tout-à-l’anglo-américain" de la finance et consorts, lesquels tiennent le pays tout entier sous leur coupe.
La Langue d’Emma, c’est ce langage tout en délicatesse qui ne séduira plus les visiteurs francophones de passage, désormais accueillis comme des hôtes indésirables à Nice, Genève, Bruxelles, Paris ou Lausanne… et qui s’en retournent chez eux humiliés et choqués ; c’est elle dont les étudiants non francophones, dépités, se détournent, les "natifs" eux-mêmes l’ayant rendue méconnaissable pour avoir simplement oublié leur appartenance à un ensemble géopolitique de plusieurs centaines de millions de francophones à travers le Globe.
Le mot de la fin La Langue d’Emma, c’est cette immense langue française refusée au locuteur lambda de langue française et qui s’effiloche au fil des jours, assassinée en pleine course à cause justement de sa grâce et de la pensée universelle qu’elle laissait apparaître en filigrane dans tout son discours ; c’est cette langue qui savait prendre le contre-pied d’une idéologie anglo-saxonne dévoreuse d’humanité.
Qu’en restera- t-il une fois que le credo du "tout-à-l’anglais" aura eu raison d’elle ? Rien, si ce n’est qu’une écrasante majorité de ses locuteurs auront cessé d’exister dans ce qui faisait leur être original, leur vérité, et verront s’insinuer au plus profond d’eux-mêmes une plaie béante, souvenir d’une perte irrémédiable qui les poursuivra pendant longtemps encore, comme ont été marqués au fer rouge d’autres peuples à d’autres époques…
Philippe Carron Langue française, Suisse romande Prilly/Lausanne
* Silure : gros poisson carnassier, appelé aussi poisson-chat.