Ordonnance de Villers-Cotterêts (1539)

Ordonnance de Villers-Cotterêts (1539)

langue française législation

L'extension de l’usage du français et d’un français qui puisse être compris par tous est liée, pour une large part, aux progrès de l’administration et de la justice royales dans le pays. L’essor de la langue française et la généralisation de son emploi sont des facteurs déterminants dans la construction de la nation française. Deux articles de l’ordonnance de Villers-Cotterêts, signée par François 1er en août 1539, donnèrent une assise juridique à ce processus.

Cette ordonnance est toujours valide, en témoigne par exemple, le jugement  du 6 février 2008 de la Cour d'appel de Paris qui impose une traduction dans le cas de partenariats en anglais  en s'appuyant sur l'ordonnance. "Cependant, ces pièces, certes produites en original, sont en langue anglaise (États-Unis), méconnaissant l’ordonnance royale du 15 août 1539 dite de Villers-Cotterêts relative à l’usage de la langue française."

Ordonnance du 15 août 1539 dite «Ordonnance de Villers-Cotterêts »

prise par le roi François 1er imposant l'usage du français dans les actes officiels et de justice
enregistrée au Parlement de Paris le 6 septembre 1539

Ordonnance du Roy sur le faid de justice

Francois, par La grâce de dieu, Roy de France,

Sçavoir faisons, à tous présens et advenir, que pour aucunement pourvoir au bien de notre justice, abréviation des procès, et soulagement de nos sujets, avons, par édit perpétuel et irrévocable, statué et ordonné, statuons et ordonnons les choses qui s’ensuivent.

[...]

Art. 110. – Et afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence desdits arrêts, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement, qu’il n’y ait ni puisse avoir aucune ambiguité ou incertitude ne lieu à demander interprétation.

Art. 111. – Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l’intelligence des mots latins contenus desdits arrests, nous voulons d’oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques, actes et exploicts de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement.

[...]

Si donnons en mandement par cesdites présentes, à nos amés et féaux les gens de nos cours de parlement à Paris, Tholose, Bordeaux, Dijon, Rouen, Dauphiné et Provence, nos justiciers, officiers et tous autres qu’il appartiendra ; que nosdictes présentes ordonnances ils fassent lire, publier et enregistrer : icelles gardent entretiennent et observent, facent garder, entretenir et observer de point en point selon leur forme et teneur, sans faire ne souffrir aucune chose estre faicte au contraire : car tel est nostre plaisir.

Donné à Villers-Cotterets au mois d’aoust, l’an 1539, et de nostre règne, le 15.

François.

A costé, Visa.
Et au-dessous, par le roi, Breton.
Et scellé du grand scel du roi, en cire verte, pendant à laqs de soye.


Commentaire d'Alban Dignat
(reproduit avec l'autorisation du site québécois Pour le Pays du Québec)

Entre le 10 et le 15 août 1539,
le roi François 1er signe à Villers-Cotterêts une ordonnance de 192 articles.

Capitale pour l'avenir de la France, cette ordonnance établit que tous les actes légaux et notariés seront désormais rédigés en français. Jusque-là, ils l'étaient en latin, la langue de toutes les personnes instruites de l'époque ( *).

Alban Dignat

Une administration plus accessible

L'ordonnance de Villers-Cotterêts, qui a été rédigée par le chancelier Guillaume Poyet, est parfois connue sous le nom de Guilelmine. Grâce à elle, le peuple a ainsi accès aux documents administratifs et judiciaires,... sous réserve qu'il parle la «langue d'oïl» pratiquée dans le bassin parisien et sur les bords de la Loire.

L'article 111 énonce joliment :
«Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l'intelligence des mots latins contenus dans lesdits arrêts, nous voulons dorénavant que tous arrêts, ensemble toutes autres procédures, soit de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soit de registres, enquêtes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques actes et exploits de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties, en langage maternel et non autrement».

Dans les faits, il va falloir beaucoup de temps avant que l'édit royal entre partout en application. Outre qu'il consacre le rôle unificateur
de la langue française, il institue ce qui deviendra l'état civil en exigeant des curés des paroisses qu'ils procèdent à l'enregistrement des naissances, des mariages et des décès.

Le français, langue du pouvoir

Dès avant l'ordonnance de Villers-Cotterêts, les élites du royaume ont fait leur la langue française, même dans les provinces les plus éloignées.

Ainsi, en 1448, peu après sa création, le Parlement de Toulouse décide de son propre chef qu'il n'emploierait plus que la langue d'oïl dans ses travaux et ses écrits, bien que cette langue fût complètement étrangère aux parlementaires et à leurs concitoyens. Plus étrangère que peut l'être aujourd'hui l'anglais pour les Français. Notons aussi que le premier acte notarié en français a été rédigé en 1532 (sept ans avant l'ordonnance de Villers-Cotterêts) à... Aoste, sur le versant italien des Alpes !

L'ordonnance de Villers-Cotterêts est d'autant plus importante qu'à la différence de la plupart des autres nations européennes, la France est une construction politique sans unité linguistique. Elle coïncide avec l'éveil, partout en Europe, des langues nationales.

Dans La mort du français, un essai passionné autant que passionnant publié en 1999, le linguiste et écrivain Claude Duneton rappelle que l'anglais, l'allemand, le castillan ou encore le toscan, qui sont aujourd'hui les langues officielles du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de l'Espagne et de l'Italie, étaient déjà comprises par la majorité de la population, dans ces pays, au XVe siècle, avant que Chaucer ne jette les bases de la langue anglaise moderne ou que Luther ne traduise la Bible en langue allemande.

Rien de semblable en France. À l'exception de l’Île-de-France et du val de Loire, toutes les provinces ont usé dans la vie quotidienne, jusqu'au début du XXe siècle, de langues plus ou moins éloignées du français de Paris.

L'unité linguistique n'a été à peu près achevée qu'au milieu du XXe siècle, grâce à l'attrait qu'exerçait le pouvoir central sur les élites locales et à la pression exercée sur les enfants du peuple par les fonctionnaires et les instituteurs de l'école laïque.

De vieilles personnes se souviennent encore du bâton que le maître mettait le matin entre les mains du premier enfant surpris à «parler patois» (ou breton, alsacien, basque, flamand, ou corse, picard, ou provençal,...). Le porteur devait à son tour donner le bâton au premier camarade qu'il surprendrait lui-même à «parler patois». A la fin de la journée, le dernier porteur de bâton était puni. Ce procédé inquisitorial s'est révélé très efficace. La langue française est ainsi devenue le patrimoine commun et le principal facteur d'unité du peuple français.

Commentaire : trahison des élites

Aux Temps modernes, de Louis XIV à la Révolution, la France a joui d'un rayonnement tel que sa langue s'est imposée comme langue des élites européennes et de la diplomatie.

Le français s'est substitué au latin comme langue de la diplomatie à l'occasion de la signature du traité de Rastatt en 1714, entre la France et l'Espagne. Son déclin s'est révélé avec la signature du traité de Versailles, lorsque Clemenceau, qui se flattait de parler couramment anglais, a consenti à l'emploi de cette langue aux côtés du français comme langue diplomatique.

On peut s'étonner, avec Claude Duneton, que les élites françaises trahissent la langue qu'elles ont imposé au peuple avec tant de persévérance. Des personnes simples, nées au début du XXe siècle, qui ont fait le sacrifice de leur langue originelle pour adopter le français, se sentent à nouveau perdues en regardant la télévision ou en lisant certains magazines. Ce n'est plus le français appris à l'école qui leur est servi mais un sabir truffé de mots abscons au sens approximatif.

Un ministre de l'Éducation nationale (Claude Allègre) a déclaré que «l'anglais ne doit plus être une langue étrangère en France» ! En fait d'anglais, il ne pensait pas à la belle langue de Shakespeare mais au basic english que parlent nos VRP internationaux avec un fort accent du terroir. À l'heure où un grand nombre de jeunes Français de diverses origines tentent tant bien que mal d'assimiler la langue nationale, il est malvenu de déconsidérer celle-ci et de la ravaler au rang de langue vernaculaire (comme l'ouolof du Sénégal).

Les préconisations du ministre et de l'élite internationaliste sont-elles au moins susceptibles de servir les intérêts économiques de la France ? Rien n'est moins sûr car, d'ici une ou deux décennies, nous disposerons peut-être de systèmes très performants de traduction instantanée grâce aux progrès de la téléphonie et de l'internet.

D'ores et déjà, des systèmes en test permettent à des interlocuteurs de langue différente, tibétain et flamand par exemple, de converser autour d'une table dans leur langue respective en suivant sur l'écran de leur portable la traduction des propos de leur interlocuteur ! La traduction instantanée n'est pas loin de déboucher aussi dans
le courrier électronique et sur la Toile.

Dans cette éventualité, l'utilité du basic english sera réduite à néant, les gens d'affaires préférant s'exprimer dans leur langue maternelle en faisant usage de toutes ses nuances plutôt que dans une langue étrangère mal assimilée. Dans la compétition internationale, l'avantage reviendra alors aux peuples qui maîtriseront une langue riche et solide. Les langues étrangères ne seront plus enseignées dans un but utilitaire mais seulement pour le plaisir de la connaissance et de l'accès à une culture différente.

En attendant, la prudence commande de préserver le français et de ne pas compromettre son renouveau par une anglicisation précipitée de notre système éducatif et des médias.

Alban Dignat