Lettre à Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale
au sujet de la colonisation des esprits (22 septembre 2012)
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André Fontaine
http://fontainedelapolitique.over-blog.com
au ministre de l’Éducation nationale
Paris, le 22 septembre 2012
Monsieur le ministre,
Le passé n’est jamais mort, il n’est même pas passé (Faulkner)
La nation française est l’héritière en ligne directe de la longue aventure humaine gréco-latino-française. Commencée aux bords de la mer Égée avec la naissance de l’esprit critique, poursuivie par l’Empire romain et la religion chrétienne, réveillée à la Renaissance et au Siècle des Lumières, elle a abouti à la Révolution française, puis à la séparation des Églises et de l’État. Quand j’ai lu dans les journaux que vous étiez professeur de philosophie et admirateur de J.P. Vernant, j’ai pensé que nous allions peut-être avoir un Ministre qui rendrait sa fonction à l’Éducation nationale : la formation de citoyens aptes à faire en sorte que l’Esprit de la nation française prenne conscience de soi.
Dés sa naissance, l’enfant s’apprend à corréler ses sensations à l’existence d’objets et, suivant un processus mystérieux, réussit à organiser les sons émis par son entourage dans une langue avec des mots et une grammaire. Cette éducation primordiale en grande partie effectuée dans la famille s’imprime dans notre cerveau et imprègne notre personnalité de caractères acquis presque aussi indélébiles que les caractères innés.
Alors que l’éducation familiale a inclus l’enfant dans son entourage grâce à sa maîtrise de sa langue maternelle entendue, c’est à dire la liaison entre sens et son, l’Éducation nationale doit l’inclure dans sa nation, en débutant par la maîtrise de la langue maternelle écrite, c’est à dire la liaison entre sens et image vue. Dans notre écriture alphabétique, cette liaison est facilitée par la décomposition des mots en sons simples relativement peu nombreux dont la représentation est aisément mémorisable. La méthode globale, qui veut passer directement de l’image du mot à son sens, complique la tâche des enfants et fait fi, on ne sait pourquoi, des longs efforts historiques de la mise au point de l’écriture alphabétique, accomplis justement dans le but de faciliter aux locuteurs le maniement écrit de leur langue. Cette même perversion pédagogique se retrouve chez ceux qui ont voulu apprendre aux enfants dés le plus jeune âge les mathématiques modernes, un des étages le plus abstrait de la construction mathématique.
Pourquoi s’ingénie-t-on sans arrêt à tirer l’éducation nationale à hue et à dia sans autre résultat qu’une inefficacité accrue ? Un ami me disait qu’ayant reçu le correspondant anglais de son fils, celui-là lui avait demandé : "Pourquoi, à la radio française, on n’entend que des chansons anglaises ?" Nous sommes des colonisés et, comme toujours dans cette situation, ce sont les élites privilégiées qui se font, par intérêt, les valets du colonisateur. Depuis des décennies elles n’ont de cesse de détruire l’humanisme français au profit de l’utilitarisme anglo-saxon. Elles en sont même venues à créer des cours d’anglais à l’école primaire, au moment où par l’étude approfondie de la langue maternelle, de ses méandres et subtilités, il faudrait donner aux élèves le goût d’une connaissance, loin de la superficialité des apprentissages utilitaires.
L’utilitarisme de l’éducation est partout encouragé. Il n’est pas un débat qui ne se termine par : ces choses-là devraient être apprises à l’école, surchargeant à qui mieux mieux les emplois du temps. On dote les écoles primaires d’outils informatiques, alors qu’en général les enfants excellent dans leur emploi et que l’informatique est le comble de l'asservissement de la pensée. A quand des cours de marche à bicyclette ? Jules Ferry n’avait pas introduit dans les épreuves du certificat d’étude la traite des vaches ou le geste auguste du semeur.
L’esprit de finesse n’est plus et quelqu’un a fini par dire que la lecture de la Princesse de Clèves était inutile pour des employés. L’esprit de géométrie ne se porte guère mieux. Une de mes petites-filles ne connaissant pas le mot théorème, je lui ai posé la question : "Tu n’as pas appris le théorème de Pythagore ? -Ah ! tu veux dire la propriété de Pythagore". Ainsi la démonstration grecque a été remplacée par une constatation égyptienne, c’est une régression d’au moins deux millénaires.
L’éducation nationale n’est plus qu’école d’apprentissages et forme des citoyens à n’être que des moutons juste aptes à brouter l’herbe qu’on leur offre, au plus grand profit des bureaucraties dirigeantes des grandes entreprises. Paradoxe : le gouvernement prétend encourager l’innovation. Une nouvelle religion, l’économie, régente la société, non pas en raison de sa connivence avec le ciel, mais par son caractère scientifique. Ses grand prêtres pérorent dans tous les lieux de décision et abreuvent les fidèles de prévisions dont il est manifeste qu’elles ne se réalisent que par hasard. L’économie n’a de scientifique que le fait qu’elle est incapable de la moindre prévision."On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve." et nous nageons en plein obscurantisme religieux.
Que reste-t-il de l’Esprit de la nation français ? Une peau de chagrin. Notre dernier espoir réside dans une Éducation nationale qui apporterait aux futurs citoyens l’élan de leur nation : l’esprit critique, l’humanisme et la raison ; dans un Ministre qui fixerait le cap : "J’aime mieux une tête bien faite qu’une tête bien pleine" Il faudrait lessiver les programmes scolaires des pollutions du tout anglais, marque de notre asservissement à l’impérialisme états-unien et véhicule de l’utilitarisme propre aux locuteurs de cette langue. Travail considérable qui heurtera de plus puissants que le roi Augias et j’ai peur que toute l’eau de la Seine n’y suffise.
Je compte cependant sur vous pour entreprendre cette tâche exaltante qui devrait être aussi celle de tous les citoyens français et je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de toute ma considération.