Contre le tout-anglais – Dominique Gallet et Jean-Louis Roy

Contre le tout-anglais

Lettre aux Parlementaires de Dominique Gallet et Jean-Louis Roy

Dominique Gallet Roy anglicisation langue française

Dans le cadre du débat parlementaire autour de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République et du projet de loi Fioraso, Dominique Gallet et Jean-Louis Roy viennent de faire parvenir un courrier personnel à chacun des parlementaires français pour leur présenter l’Appel "Langue française et monde multipolaire, l’urgence d’une stratégie" accompagné de la liste des 1 300 premiers signataires, originaires de plus de 40 pays. Cette lettre souligne la nécessité pour la France de sortir du dogme du tout-anglais et de développer une véritable diversification de l’enseignement des langues étrangères, afin de "former de nouvelles élites, au diapason du monde réel".

La conviction de la nécessité d’actions décisives en vue d’assurer l’avenir de la langue française dans le monde multipolaire qui émerge a incité une trentaine de personnalités francophones à lancer l’appel "Langue française et monde multipolaire, l’urgence d’une stratégie". L’appel a été publié dans un collectif de quotidiens de quelques métropoles francophones : Le Devoir de Montréal, Le Soleil de Dakar, Le Messager de Yaoundé, Le Potentiel de Kinshasa, L'Orient-Le Jour de Beyrouth, et Le Soir de Bruxelles.

1 300 signataires originaires de plus de quarante pays de la francophonie et bien au-delà, aux activités très diverses (écrivains, artistes, cinéastes, comédiens, journalistes, étudiants, universitaires, chercheurs, enseignants de français langue étrangère, traducteurs, médecins, magistrats, diplomates, syndicalistes, chefs d’entreprise, économistes, etc.) ont déjà rejoint l’appel, que vous trouverez ci-dessous. La liste des signataires peut être consultée sur le site www.francophonesdumonde.org.

L’appel souligne l’urgence d’une vigoureuse politique d’affirmation linguistique, en rupture avec le dogme du tout-anglais. Il précise qu’il ne s’agit pas pour les francophones et leurs représentants de se dresser contre la langue anglaise ou toute autre langue. Il enjoint nos gouvernements de reconnaître la nouvelle dimension multipolaire du monde, de mettre en œuvre une stratégie offensive pour la langue française et ainsi d’assurer son avenir en tirant profit de ses nombreux atouts et en les valorisant.

Le récent Sommet de Kinshasa a constitué une incontestable avancée dans la prise de conscience par les dirigeants francophones de ces nouveaux enjeux linguistiques. Cette prise de conscience doit déboucher sur des actions collectives de la Francophonie et s’inscrire dans les politiques nationales de chacun des pays membres de l’OIF.

Il nous semble donc urgent que la France définisse et mette en œuvre une véritable stratégie linguistique dans le monde multipolaire qui émerge.

Dans cette perspective, nous avons constaté avec beaucoup d’intérêt l’effort budgétaire important que la France a décidé de consentir afin de recruter sur le quinquennat 60.000 nouveaux enseignants. Nous pensons que cette décision devrait permettre de concrétiser l’un des objectifs définis par notre appel : l’indispensable diversification de l’enseignement des langues étrangères. Vers deux grandes langues spécifiquement européennes, l’allemand et le russe, mais également, comme nous le soulignons dans l’appel, vers les grandes langues des pays émergents : arabe, chinois, espagnol et portugais.

La France pourrait ainsi former de nouvelles élites, au diapason du monde réel, capables de dialoguer directement avec ces grands espaces linguistiques de la planète qui aujourd’hui rassemblent environ trois milliards d’habitants. Cette stratégie permettrait également de développer des accords de réciprocité avec les États de ces espaces linguistiques, qui, soucieux de dialogue et d'efficacité dans la mondialisation multipolaire, souhaiteront renforcer l’enseignement de la langue française et son usage pour échanger avec la France et l'ensemble des pays de l’espace francophone.

À l’image de la diversité internationale des signataires de l’appel que nous vous adressons, nombreux sont les peuples qui espèrent que la France saura relever le défi de l’affirmation déterminée de la langue française dans la polyphonie du nouveau monde.

Dominique Gallet et Jean-Louis Roy

Dominique Gallet est responsable du  magazine télévisé Espace francophone. diffusé par France 3, CFI, TV5, RFO et la plupart des télévisions francophones dans le monde.
Jean-Louis Roy est historien, écrivain, diplomate québecois et responsable de l'Observatoire mondial des droits de l'Homme.


Appel
langue française et monde multipolaire

l’urgence d’une stratégie

Nous envisageons l’avenir de la langue française avec confiance. En dépit des fausses évidences.

Un monde multipolaire émerge sous nos yeux. Il contribue manifestement à rééquilibrer les activités de la famille humaine non seulement dans les domaines économique, financier et politique, mais également dans les domaines culturel et linguistique. Sous toutes les latitudes, de la Chine à la Russie, du Brésil à l’Inde, des politiques linguistiques se décident, de nouveaux espaces linguistiques s’organisent et s’affirment.

Cette nouvelle donne remet en cause l’idée même du monopole d’une langue unique dans la communication mondiale. Les grandes langues internationales qui se maintiendront ou qui surgiront ne le devront pas au simple fait du hasard. Elles le devront en grande partie à la manière dont seront exploités les atouts dont chacune dispose.

Émergente, cette configuration culturelle et linguistique globale est une chance pour l’avenir mondial du français, langue qui dispose de larges atouts.

- Par l’Histoire : au fil des siècles, la langue française s’est illustrée en portant très loin les outils critiques d’une pensée libre et singulière et les progrès des sciences. Elle a exprimé les grands principes des Lumières et les a offerts au monde. Successivement, elle a été l’instrument de l’émancipation sociale, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de l’émergence d’institutions pour la communauté des nations.

- Par son universalité : la langue française est utilisée sur toute la planète par de très nombreuses nations à l’intérieur d‘elles-mêmes comme dans leurs rapports avec le monde, ainsi que dans les activités scientifiques et technologiques les plus avancées, de la génétique moléculaire à la conquête spatiale.

- Par son statut de langue de travail et de langue officielle du système des Nations Unies et de nombreuses organisations internationales, continentales et régionales, et par le statut de la France de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU.

- Par la démographie : avec la perspective de plus d’un demi-milliard de locuteurs francophones pour le milieu du siècle, principalement grâce à l’Afrique, mais également à la France qui devrait devenir le pays le plus peuplé du continent européen après la Russie.

Ces atouts sont considérables. Ils constituent des leviers puissants pour que la langue française, dans le respect de la diversité des langues et des cultures des peuples qui composent l’espace francophone, continue à jouer le rôle qui est le sien depuis des siècles. Ces leviers, que d’autres nous envient, doivent être saisis avec détermination et constance.

En priorité, les décideurs des secteurs public et privé du monde francophone doivent quitter le modèle dominant qui a façonné leur existence au siècle dernier et ajuster leurs choix au monde multipolaire tel qu’il advient. La soumission, la démission et la résignation linguistiques constituent les véritables menaces pour l’avenir de notre langue.

Le “tout anglais“ constitue une obsession d’un autre temps et d’un autre monde. Il est une impasse d’où il faut au plus vite sortir dans l’intérêt des peuples ayant le français en partage.

Notre confiance en l’avenir de la langue française n’est pas naïve. Elle appelle une vigoureuse politique d’affirmation linguistique. Cette politique doit comprendre notamment :

1) l’application stricte des législations linguistiques nationales quotidiennement bafouées par les intérêts particuliers et le conformisme ambiant, aussi bien dans les secteurs public que privé, notamment pour le français langue du travail ;

2) la diversification de l’enseignement des langues étrangères et des filières bilingues vers plusieurs grandes langues dont celles des pays émergents (arabe, chinois, espagnol, portugais) ;

3) l’exigence de la publication en français, et dans d’autres langues si nécessaire, de tous les travaux issus de la recherche médicale et scientifique publique dans l’ensemble des pays francophones ;

4) la circulation facilitée pour les étudiants, les écrivains et les artistes, ainsi que les chercheurs de l’espace francophone tant il est évident qu’il n’y a pas de francophonie si les francophones sont interdits de circulation dans cet espace ;

5) un appui massif à la numérisation des patrimoines anciens et vivants de l’ensemble des pays francophones afin d’assurer la présence du français et des langues partenaires dans l’espace virtuel devenu un lieu essentiel de communication, de mobilisation et de rassemblement ;

6) le renforcement de la recherche sur les systèmes de traduction automatique et leurs implications industrielles, afin d’assurer la présence du français parmi les grandes langues pivots qui s’imposeront dans l’intercommunication planétaire ;

7) la priorité d’une politique bilatérale et multilatérale, forte et pérenne, en direction de l’Afrique francophone pour le développement optimal de son système éducatif ;

8) l’utilisation de la langue française par les représentants des pays francophones dans les organisations continentales et internationales.

Il ne s’agit pas pour le monde francophone de se dresser contre la langue anglaise ou contre toute autre langue. Il s’agit d’ouvrir nos yeux sur la réalité nouvelle, et de mettre en œuvre, dans le contexte de la mondialisation multipolaire, une stratégie offensive pour la langue française, qui assurera son avenir en valorisant ses nombreux atouts.

Nous appelons les citoyens des pays francophones à exercer leur vigilance individuelle et à développer leur mobilisation collective pour que soit respecté l’usage de notre langue mondiale en partage. Nous appelons fermement nos gouvernements à réviser leur politique et leur pratique linguistiques, à abandonner les discours de circonstance sur la francophonie et à relever le défi de l’affirmation déterminée de la langue française dans la polyphonie du nouveau monde.

Pour signer l'appel

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